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Cette enfance rude en a fait, plus tard, des femmes robustes, ne rechignant pas à la tâche. Très tôt, dès l’âge de 12 ou 13 ans, Denise, un vrai «garçon manqué», a appris à travailler à la scierie avec son père. Elle ne craignait pas la rudesse de l’ouvrage et manier les tronces ne la rebutait pas. Dans la foulée, elle avait également appris à soigner boeufs et chevaux de trait. Il lui est même arrivé d’assister le vétérinaire dans ses oeuvres lorsqu’une bête «mettait bas».
 
Jeanne, d’une santé plus fragile, avait appris la couture et aidait sa mère aux travaux ménagers. Elle travaillait aussi, quand il le fallait, aux plantations dans les pépinières. Ça me fait drôle de penser que les sapins qu’elle a plantés alors ne sont peut-être déjà plus debout Malgré sa santé précaire, c’est pourtant Jeanne qui vécut le plus longtemps. Elle est
décédée en 1986, à l’âge de 94 ans’
 
L’arrivée de la guerre de 1914 fut le début du déclin de la scierie du Pâquis. Les fils aînés encore en vie, avaient déjà quitté le nid pour fonder leurs familles (la plupart dans les Vosges: à Bertrichamp et dans la Vallée de Celles), les autres fils partirent pour la guerre. Julien Holveck se retrouva seul avec sa femme et ses deux filles pour faire tourner la scierie. Quand elles ne l’aidaient pas à la scierie, elles travaillaient aux plantations dans les pépinières.
En 1915 (la date n’a pût  être précisée), un malheureux accident vint frapper la famille. Julien, le père, eut la jambe écrasée par une grume. Les plaies, mal soignées s’infectèrent et il fallut l’amputer. L’opération eut lieu dans une maison de Wisches, ta maison de la famille Bernhard (cette maison existe toujours au n° 7 de la Grand’Rue). C’est là que le médecin allemand Hartmann, assisté de Denise (la plus forte, la moins émotive, toujours là en cas de «coup dur»), amputa Julien, sans autre anesthésique qu’une bouteille de schnaps. C’était, sans conteste, largement insuffisant puisqu’aux dires des témoins de l’époque, ses cris s’entendaient à plusieurs dizaines de mètres à la ronde.
 
Julien ne retourna jamais au Pâquis. Il mourut en 1916, sa femme, en 1922. C’est Joseph, un de leurs fils, qui fit tourner la scierie jusqu’en 1920, date à laquelle un feu de cheminée déclencha l’incendie qui la ravagea entièrement. Elle ne fut jamais reconstruite: «Le développement des affaires et les prix des bois ronds, de plus en plus élevés obligèrent les scieurs à augmenter la production et surtout
le rendement de fabrication et les ont amenés à délaisser les
scieries à eau pour façonner les bois dans des usines â outillage moderne, presque toutes mues par la vapeur...» **)
 

«Au confluent du Schoenbruch et du Netzenbach, à la hauteur de la borne n° 24 du Procès-verbal  de délimitation de 1857, se trouvait la scierie du Pâquis.
En 1750, elle n’a pas encore de nom spécifique, mais on connaît ses propriétaires. Elle appartient en effet à M. Lamarche
au Sieur Pierre Chardon son associé. La famille Lamarche est sans doute installée depuis un certain nombre d’années dans ce lieu puisque, non loin de cet endroit, se trouve dès 1728 un «étang de La Marche’. La même année, Joseph Drouot
La Marche, bourgeois de Wisches — dit aussi Joseph La Marche tout court apparaît comme «entrepreneur des Exploitations des bois de I’Evêché»: il passe des contrats pour faire flotter du bois par le Netzenbach et la Bruche jusqu’aux carrières de Soultz-les-Bains.
En 1846, la Scierie du Pâquis, devenue communale entre-temps, est reconstruite — en fait modernisée. Alimentée à la fois par les eaux du Schoenbruch et du Netzenbach, elle pouvait débiter en 1858 trente mille planches par an: c’était la plus puissante des scieries du vallon du Netzenbach. En 1882, elle apparaît sous le nom de «SàgemLihle Tieffenbach», de même qu’en 1901.» *)
Qui pourrait croire, en flânant dans la forêt de Wisches par une belle journée de printemps, le long du ruisseau de Wisches, autrefois appelé le ‘(Grand Ruisseau» et maintenant «Netzenbach», en remontant vers le «Pâquis», le long de cette vallée creusée dans le massif boisé du Tieffenbach, qu’elle fut jadis habitée par d’autres que les biches, les cerfs ou les sangliers.
 
Au confluent du Netzenbach et du ruisseau du Schoenbruch, au lieu-dit «Pâquis», sur une large place maintenant recouverte de végétation sauvage et bordée de grands arbres, dans un décor de carte postale, on peut apercevoir, noyé sous la mousse et les racines, le pan d’un mur, plongé dans l’eau, seul vestige rescapé d’une de ces petites scieries à eau aujourd’hui disparues.
 
C’est dans cet endroit calme et limpide que fonctionnait encore au début de notre siècle, la scierie du Pâquis, berceau de mes ancêtres. C’est en ce lieu retiré qu’en 1889 et jusqu’en 1920, date à laquelle elle fut détruite par un incendie, mon arrière-grand-père, Julien Holveck vint s’installer comme sagard avec son épouse Marie Anne.
 
Julien Holveck (1850-1916) est le cadet d’une famille de trois enfants. Son père Antoine, et sa mère, Marie Jeanne Schouler (ou Schuller), sont domiciliés à Hersbach à sa naissance le 6 mai 1850. Le 11 septembre 1876, il épouse au Ban de Laveline (Vosges), Marie Arme Magron, de six ans sa cadette (elle est née le 25 juillet 1856 à la Côte d’Echery, commune de Sainte-Marie-Aux-Mines, Allemagne, puisque l’Alsace était allemande à cette époque).
 
De leur union sont nés huit enfants: Joseph, Jean-Baptiste, Emile (né à Grandfontaine le 20 juin 1881), Fernand, Jules (1885-1900), lequel serait mort noyé dans le Netzenbach.
C’est là aussi, au coeur des bois, bercés par le sifflement monotone du fer mordant la tronce et du mugissement de l’eau bondissant d’un auget à l’autre de la grande roue, que trois benjamins virent le jour: Louis, né le 24 août 1890, Marie-Jeanne (16 novembre 1894 — 15 mars 1986) et Marie-Denise (4 octobre 1896 —5 février 1970).
 
C’est dans ce cadre à l’élégance pure et dépouillée que cette famille simple et fruste de solides bûcherons vosgiens a mené sa vie, frugale et rude. Ils ont vécu là, une vie proche la nature et dont le seul agrément était le labeur quotidien. Au fil des saisons, ils ont essuyé, souvent en même temps que leurs larmes, les tempêtes et les meurtrissures cruelles que la nature peut causer quand elle met en colère.
Sans désemparer, sitôt les plaies pansées, ils se remettaient au travail, avec encore plus d’ardeur et d’acharnement.
 
La vie quotidienne pour les enfants n’était pas toujours des plus commodes. Denise, ma grand’mère, me racontait souvent que, pour aller à l’école, il leur fallait faire à pied, par tous les temps, près de cinq km. En hiver, quand la neige enveloppait tout de son épais manteau, elle et Jeanne, sa soeur «descendaient au village» dès le jour levé. Vêtues de capes de qros drap, bonnets et bas de laine, chaussées de sabots par dessus les «schnobottes», elles partaient, la gamelle contenant le repas de midi à la main. Elles n’arrivaient à l’école jamais avant 9 h et la soeur d’école les laissait repartir à 3 h, toujours dans le même équipage, afin qu’elles puissent être rentrées avant la nuit. Elle me racontait aussi que, lorsque la neige était bien tassée et glissante, elles faisaient de la «schlitte» avec leurs sabots qui ne résistaient pas au traitement, au grand dam des parents lorsqu’elles rentraient, les sabots éclatés à la main...
Aujourd’hui, lorsque guidée par un sentiment nostalgique et un peu de «vague à l’âme», j’essaie de me ressourcer, je
vais au Pâquis, à l’endroit où vécurent ceux qui m’ont fait naître. Là, au travers d’un rayon de soleil filtrant les feuillages, du souffle léger d’un zéphyr faisant frémir les branches, du roulement de l’eau qui vient heurter les cailloux, comme incrustée dans le paysage, je ressens leur présence, furtive et impalpable et je me dis que, sûrement, sont toujours là!
                                                                                                                                                               Nicole HUBER
Certaines anecdotes m’ont été contées par MM. Louis Guy ++, garde-champêtre communal en retraite, et Charles Chatin (95 ans) ++ , lequel a bien connu la famille Holveck, surnommés les «Péquis».
J’exprime toute ma gratitude à M. Jean Wolff de Hersbach et à Mme Marie-Louise Humbert de Raon-L’Etape, tous deux descendants des «Péquis», qui m’ont aidée dans mes recherches.
J’exprime toute ma gratitude à M. Jean Wolff de Hersbach et à Mme Marie-Louise Humbert de Raon-L’Etape, tous deux descendants des «Péquis», qui m’ont aidée dans mes recherches.
 
Notes  *)Kientzler (Arnold), Noms de ruisseaux et de scieries dans les environs de Wisches in: Essor. 123, juin 1984 p. 24
**)André (Henry L.). L’industrie du bois dans la vallée de la Bruche in: Alsace française, 21 octobre 1928
La vie d’une famille à la scierie du Pâquis
Les deux filles du sagard en 1915 (â gauche Denise Holveck, a droite sa soeur Marie-Jeanne).
                                                                                             Photo coll. Nicole Hubert
La scierie
du
Pâquis
par
Nicole Huber
1991
Texte intégral de Mme Nicole HUBER in l' ESSOR 150 de mars 1991
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