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** Témoignage  de Mme Marguerite Vincent née Adrian, de Hersbach
1991
Soldats allemands et leur casque à pointe.
Pendant ce temps. la bataille faisait rage au-dessus de nous. Nous étions dans la cave de l’école de Garçons et nous entendions le vacarme de la guerre.
Les Allemands ont pris certaines personnes (adjoints et conseillers municipaux, dont Xavier Bande, Eugène Colin) et les ont enfermés dans la salle d’attente de la gare de Hersbach comme otages.
Le lendemain, tous les hommes valides ont été réquisitionnés pour enterrer les morts sur la «Côte».
Tous les hommes qui participaient à l’enterrement des soldats tués n’avaient même plus le courage de manger. Il faut dire qu’il faisait très chaud et le carnage n’était pas beau à voir. Ils nous avaient demandé d’apporter leur repas aux «Auges» pour ne plus sentir l’odeur. C’était une pitié de voir tous ces «pantalons rouges» étendus.
Parmi eux, j’ai vu le Colonel Aubry qui était venu la veille chez nous demander des oeufs à ma mère.
On enterrait les morts sur place, quelques-uns dans la même fosse. Tous les soldats avaient été fouillés et dévalisés par les Allemands (il y en avait certains qui avaient des pièces d’or). On jeta les papiers et les objets qui auraient pu permettre de les identifier: c’est pour cela qu’il y eu tant de soldats inconnus.
Les Allemands ont emmené des blessés français à la salle communale et nous avons eu l’autorisation de leur porter à boire. Nous leur avons porté du lait.
Après, ce fut le calme. Beaucoup de militaires allemands qui faisaient leur instruction, montaient tous les jours sur la «Côte» pour faire des manoeuvres. Ils étaient cantonnés chez les gens du village.
En 1917. les Allemands provoquaient une attaque à la frontière et le jour du 14 juillet, ils surprirent les Français.
A Schirmeck. j’ai pu voir un grand train de blessés prisonniers. On pouvait aller les voir et leur porter à boire, il y avait beaucoup de monde. C’est là que j’ai vu aussi les premiers uniformes «bleu horizon».
Le 17 novembre 1918, les Français traversèrent enfin Schirmeck. Mon père nous dit: - Montez donc à Schirmeck, il y aura une grande "Retraite aux Flambeaux". Nous y sommes donc allées avec plusieurs filles du quartier. Ce fut vraiment grandiose. Le lendemain, des soldats vinrent pour aller vers Mutzig. à pied. Toutes les jeunes filles qui les regardaient passer se sont jointes à eux et nous les avons accompagnés jusqu’à Dinsheim! On était fatiguées! Mon père et ma soeur sont allés jusqu’à Mutzig, mais en camion militaire. Les cérémonies à Mutzig ont été également grandioses.
Après la déclaration de guerre en août 1914. les hommes furent mobilisés. Mon père qui avait trente-quatre ans à l'époque devint «Landsturm. ce qui signifiait qu’il n’irait pas au front. II fut dirigé sur Lingolsheim. Avant de partir. il rangea dans la cave voûtée de la maison des papiers et des objets auxquels il attachait de l’importance. car on parlait déjà de bataille probable. Tous les hommes appelés du village furent embarqués ensemble dans un train qui avait des wagons à bestiaux. Toute la population était là. Les femmes pleuraient et se lamentaient, des enfants criaient. beaucoup priaient à haute voix.
Ce fut un peu plus tard, le dimanche 16 août. Ma mère essayait de me distraire sur le rebord de la fenêtre ouverte donnant sur le raccourci conduisant au «counio», actuellement. rue de la Forêt. il faisait très chaud. J’avais cinq ans, je voulais sortir. Dehors, il n’y avait pas âme qui vive. L’atmosphère était lourde, comme devant un orage.
Tout à coup, devant la fenêtre, apparut l’ombre d’un cheval. Le cavalier avait des pantalons rouges et une veste bleue. Un autre le suivait, Il s’adressa à ma mère sans descendre de cheval: « Madame, fermez la fenêtre et ne sortez pas».
La «bataille des chênes»
l’affaire Ohrel t Wisches en août 1914
***
* Témoignage de Mme Anna Chatin,
de Wisches
1991
Soldats français en 1914, les fameux "pantalons rouges"
Le lendemain encore, mon père, ma soeur et mon frère sont partis en camion jusqu’à Vexaincourt et Raon-sur-Plaine pour voir la famille. Je suis restée avec ma mère, j’étais trop fatiguée et puis. nous logions un prêtre-soldat. Nous avons beaucoup discuté avec lui, mais il n’est pas resté longtemps, il fallait suivre...
Tous les ans, pendant le temps qu’avait duré la guerre, ma soeur et une copine portaient des couronnes et des bouquets sur les tombes au Cimetière Militaire, en passant par les«haies».
Une compagnie qui logeait à Russ fut chargée des exhumations. On refit complètement le cimetière en déplaçant aussi les deux soldats qui avaient été tués dans le village près de la maison Paclet et qui avaient d’abord été enterrés au cimetière communal.
Mme Marguerite Vincent née Adrian
(Notes recueillies par Mme Marie-Claire Colnet, petite-fille de Mme Vincent  1991)
 

Texte intégral  in l' ESSOR 150 de mars 1991
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« On parle de plus de 500 morts enterrés dans les trous d’obus »
 
André Schaeffer a d’ailleurs inauguré la cérémonie à 10 h 30. Il a évoqué les origines du conflit et l’idée de revanche et du retour à la France des provinces perdues d’Alsace-Lorraine. « Dès le 14 août 1914, il y a donc 97 ans aujourd’hui, la 25 e brigade d’infanterie du général Barbade s’empare du col du Donon ». Des combats sanglants vont suivre quelques jours plus tard sur les hauteurs de Wisches-Hersbach : la bataille des « Chênes ». « On parle de plus de 500 morts, Français et Allemands, enterrés sur place dans les trous creusés par les obus et recouverts de blocs de pierre avec un nom, une date, un régiment… C’est à la demande de la commune de Wisches qu’une nécropole et un ossuaire sont édifiés sur le lieu des opérations, là où nous nous trouvons aujourd’hui » souligne André Schaeffer.
 
Le site a été inauguré le 22 août 1924 et, depuis cette date, chaque année, un hommage est rendu aux anciens combattants et aux victimes de tous les conflits.
Le cimetière militaire "des Chênes" vers 1925
Par la suite, exhumés et rassemblés, tous furent réunis au
cimetière actuel des «chênes», sur demande expresse de la
commune de Wisches. Cette nécropole a été inaugurée le 22
août 1920.
Pendant de longues années, beaucoup de familles ont demandé le rapatriement des dépouilles de leurs proches. Chaque année, le dimanche le plus proche de la date de la bataille (1 août), une messe est célébrée sur ces lieux sacrés, par n’importe quel temps, devant une foule nombreuse et recueillie. Une quête est faite (du moins de suite après les années de guerre au profit du «Souvenir Français») dans un casque de soldat, celui de Jean Frémiot à l’époque.
J’avais quinze ans en 1914 et je me rappelle très bien tout ce qui s’est passé.
A l’époque. j’apprenais la couture à Schirmeck, il fallait y aller à pied. il n’y avait plus de trains.
Tout au début. on sentait que quelque chose se préparait. Les Allemands avaient leurs habits «feldgrau.. et venaient tous les jours faire des manoeuvres. Le 28 juillet. on nous a demandé de mettre des seaux d’eau au bord de la route... Il est passé des quantités de militaires allemands qui rejoignaient la frontière. Les premières escarmouches y eurent lieu début août,
C’est à Schirmeck que nous avons vu et pu discuter avec des gens de Saâles qui avaient été évacués et partaient vers l’Allemagne. Cela faisait un drôle d’effet de voir ces pauvres gens qui partaient avec un misérable baluchon.
Le jour du 15 août, nous étions à la messe, et voilà tout à coup un Allemand qui passe à cheval et qui tire des coups de fusil. On ripostait, et c’étaient des Français qui s’étaient camouflés. Alors l’Allemand est reparti et les Français arrivèrent. Monsieur le Curé Walter était à la sacristie et ne revenait plus pour continuer à célébrer la messe. Tout le monde était tellement content de voir des Français...
Le 19 août, jour de la bataille sur la Côte.., voilà les Allemands qui rentrent dans Hersbach. jusqu’à l’église et nous font évacuer à Wisches. Cela, parce qu’ils voulaient brûler le village, soit disant que des Français y étaient cachés.
Nous avons trâiné, avec mes parents. ma soeur et mon frère, depuis à peu près onze heures à Wisches, au "Counio" (près de chez Ohrel qui ne nous avait pas laissé entrer dans sa grange).
 
Au cours de notre exode à Wisches, notre voisine, Madame Wendling a été touchée au bras par une balle perdue.
Ma soeur montait au cimetière de Wisches. pour voir si Hersbach brûlait. Elle a vu la maison "Danicher" brûler à Russ.
On attendait Xavier Bande, l’adjoint, qui était allé à la Mairie pour voir si on pouvait rentrer chez nous et qui attendait un laissez-passer. Nous l’avons reçu vers six heures du soir et nous sommes rentrés à Hersbach.
Quand on est arrivé, un tas d’Allemands étaient devant notre maison (actuellement maison Rosier). Ils ont foncé, monté dans toute la maison. regardé partout et même piqué dans le foin avec des baïonnettes pour voir s’il n’y avait pas de Français cachés.
Le curé Brun, le maire Joseph Ganier. Batt le boulanger, furent aussi arrêtés mais moins brutalement. interrogés, puis relâchés.
Quant au père Ohrel, le 24 août vers 10 heures du matin. (c’était un lundi) il passa escorté par les soldats, assis sur une charette tirée par un cheval devant chez nous. Tout le monde sur le trottoir le regardait. Sa tête était démesurément gonflée, ainsi que ses mains, ses bras. Ses jambes pendaient à l’arrière. Il s’était coupé les veines avec des morceaux de verre de la lucarne de sa prison. Il ne pouvait plus parler. Son suicide n’avait pas réussi. Sa fille. sur le trottoir, criait: Dis ouar, ce qu’t’a fait»? Il haussait les épaules en guise de réponse. Le commandement militaire n’ayant pu l’interroger, avait conclu qu’il était coupable puisqu’il avait voulu se supprimer.
Les soldats l’emmenèrent au bout de Netzenbach, au bord du chemin conduisant à sa carrière, à la Lisière de la forêt où il fut fusillé. On raconta qu’il tomba la tête la première dans le trou et qu’on lui donna le coup de grâce avec un révolver.
J’avais couru un moment avec sa petite-fille, la Joséphine dite «Fifiute, derrière la charrette. Un cordon de soldats nous arrêta. Je me souvins longtemps de la fessée qu’on m’administra à la maison. Je ne comprenais d’ailleurs pas la gravité du drame qui s’était joué devant mes yeux.
Personne n’avait eu le droit de s’approcher du trou où il était enseveli, et celà durant toute la guerre. En 1919, on lui fit des funérailles grandioses. Les petites filles avaient des robes blanches, des couronnes, des tricolores. On porta Ohrel au cimetière, dans la tombe de famille.
La famille réclama des dommages de guerre. Le verdict du procès qui s’était déroulé à Strasbourg fut négatif pour les demandeurs. On ne sut jamais s’il avait été dénoncé,
En 1914, nous étions allemands depuis 1870.
A ce propos, je voudrais ajouter:
Je suis née allemande — réintégrée de plein droit dans la nationalité française en 1918— redevenue allemande (malgré moi) en 1940 et redevenue française par miracle en 1944.
J’espère bien qu’on va maintenant me laisser tranquille. Mais tout cela, c’est de l’histoire...
Anne CHATIN
Pendant la «bataille des Chênes» où les Français s’étaient repliés en combattant courageusement. il y avait eu beaucoup de blessés. Ils furent réunis dans l’école des filles, l’école des garçons. à l’église (débarrassée de ses bancs) et dans la salle de bal (restaurant Au Donon  propriétaire M. Schnelzauer). Ces lieux étaient devenus des hôpitaux d’urgence. après qu’on y eu transporté de la paille, en vitesse.
Le lendemain de la bataille et le jours suivants, les hommes valides du village et des villages environnants furent rassemblés. Comme j’étais grand pour mon âge — 14 ans — et qu’on n’était pas difficile sur la qualité (!), j’ai été réquisitionné avec eux. Munis, qui d’une pelle, qui d’une pioche, on nous a conduits à la lisière de la forêt (les «Chênes», les "Parcours", le "Devant des Bois») où la bataille avait été vive. Nous avons fait les fossoyeurs, enterrant parfois jusqu’à vingt corps allemands d’un côté, français de l’autre. D’autres fois, nous ne pouvions ne mettre qu’une ou deux personnes. le trou n’étant pas profond, car on trouvait le rocher à fleur de terre. Une partie de l’Etat-major était couchée sur une ligne de 300 mètres — ils ont été enterrés tous ensemble en même temps que le Colonel Aubry.
Le nombre de victimes était impressionnant et plus de cinq cents corps ont été inhumés.
 


(Notes recueillies et adaptées par Mme Marie-Odile Allart Frémiot)
En souvenir de la bataille des Chênes Août 2011
 
Les représentants de la fédération nationale des anciens combattants en Algérie, Maroc et Tunisie (Fnaca) ont organisé la cérémonie annuelle du souvenir au cimetière militaire des Chênes, au-dessus de Wisches-Hersbach
 
En l’absence d’office religieux, la cérémonie annuelle du souvenir au cimetière militaire des Chênes n’a été qu’une manifestation civile, mais celle-ci s’est tout de même déroulée dans un profond recueillement.
 
D’autres représentants étaient présents, notamment ceux du 44 e régiment de transmissions de Mutzig, le capitaine Philippe Varette, commandant de la communauté de brigades de Schirmeck, le corps des sapeurs-pompiers de Wisches, les clairons et les différentes chorales, le premier adjoint au maire André Schaeffer et le deuxième adjoint Alain Huber.
 

818 m²
 
504 morts
 
Tombes individuelles : 60
Ossuaires (2) : 444
 
14-18 : 504 Français
 
Création 1924.
 
Offensive du 21ème corps d'armée dans la vallée de la Bruche, combats de Schirmeck, août 1914.
 

Aménagement 1924.
Je vis le père Ohrel. notre voisin, sortir à ce moment-là et parler. mais je ne comprenais pas ce qu’il disait. Des coups de feu éclatèrent. C’étaient deux autres cavaliers qui eux. étaient venus directement de la rue de la Forêt, Ils avaient mis pied à terre et tiré dans le hall de la maison «Fels» (actuellement Rodeghiero). On m’écarta de la fenêtre, et je sus plus tard qu’ils avaient cru que c’était la Poste, Puis ils allèrent à la Poste, en face de la maison et coupèrent les fils du téléphone. Ils disparurent aussi vite qu’ils étaient venus. On voyait aussi quelques cavaliers évoluer sur le chemin de la côte dominant Netzenhach. Ils étaient probablement en reconnaissance.
 
Le lendemain, il y avait le gros d’une troupe de soldats français dans le village. Ils marchaient le long des maisons. Sous l’auvent de la forge. ils se reposèrent, cassèrent la croûte. Ma grand’mère leur parla longtemps. Les soldats lui dirent que les Allemands étaient tout près et qu’il y allait sûrement avoir du grabuge. « Vous descendrez à la cave et ne fermerez pas les portes de la maison».
Je ne sais combien de temps passa. A cinq ans, on n’a pas la notion du temps. Ce que je sais. c’est que je me retrouvai avec ma mère qui était enceinte et ma grand’mère. blottie derrière le plus gros des tonneaux et que dehors, il y avait beaucoup de bruit. On était en pleine bataille,
Les Allemands canonnaient les Français depuis les hauteurs de Grendelbruch vers le «Finage», la «Gosse», le chemin des Chênes, Les obus sifflaient longuement avant d’exploser. Dans la rue, on courait. Les coups de fusil claquaient et cela faisait beaucoup de bruit avec le hennissement des chevaux affolés. Ne comprenant rien à tout cela. je m’endormis et je fus réveillée par un tonitruant "Wer da"? en haut de l’escalier conduisant à la cave. Les Allemands fouillaient déjà la maison. Ils emmenèrent un blessé français qui s’y était réfugié. Il y eut beaucoup de morts. Les blessés furent soignés à l’Hôtel du Donon (place de la gare) et à l’école des filles. L’air sentait mauvais, la poudre. le "lysol". Il n’y avait plus de pantalons rouges dans le village, mais des soldats en gris-vert plutôt menaçants.
Un peu plus tard, le calme revenu, ma mère, sur ordre, nettoya l’auvent de la forge. Elle jeta le tout dans le trou d’eau, c’était la sortie du lavoir. Le père Ohrel ne l’entendit pas ainsi. C’était sa propriété et il invectiva vivement ma mère en alsacien.
Le père Ohrel, originaire de Still, exploitait la carrière de Netzenhach, il était riche, il parlait haut et fort et ne se gênait nullement d’injurier les soldats allemands.
Toujours est-il que quatre soldats avec casque à pointe et baïonnette au canon, vinrent l’arrêter au petit matin. Derrière les persiennes, ma mère et moi le virent sortir de chez lui, en chemise blanche non boutonnée, tenant de ses mains entravées son pantalon dont les bretelles n’étaient pas relevées. Ce fut rapide. Ils l’emmenèrent dans ce que l’on appelait la «prison», un petit bâtiment avec une lucarne grillagée.