Histoire de Wisches
Pierre Juillot
À l'époque romaine, les routes reliant l'Alsace à la Lorraine par la vallée de la Bruche étaient:
¹) la route partant de Langres jusqu'à Strasbourg (Argentoratum) venait de Raon-l'Etape et suivait le « chemin des Bannes » jusqu'au col du Prayé , montait au Donon pour redescendre sur Wisches.
Son existence à l'époque gallo-romaine est attestée par une colonne milliaire (avec inscription) déterrée en 1869 au col Entre les deux Donon par le docteur Bedel de Schirmeck. Exposée un moment au «temple-musée», elle a été perdue depuis. D'autres trouvailles romaines ont été faites à Heiligenberg (*).
²) «la Via Salinatorum» ou Route du Sel ou Route des Sarmates.
En effet, deux voies sont connues sous ce nom au Moyen-Age. Une voie dérivée de la route de Langres à Strasbourg (rejointe près de Raon par une route venant de Metz) quittait cette dernière près de Saint Blaise, se dirigeant vers le Ban de Sapt et le col des Broques vers Saâles, le col de Steige, le Champ du Feu, le Mont Sainte Odile et Obernai pour rejoindre Strasbourg.
Un autre diverticulum partait du col de Steige vers Scherwiller où il rejoignait la «route des Vosges».
À l'aube du moyen-âge, la rive gauche de la Bruche fait partie de trois patrimoines distincts:
- le territoire de l'abbaye de Senones délimité à l'est par le col Entre les deux Donon, la Goutte du Marteau et le ruisseau de Framont (Wackenbach): il est connu par une fausse charte de 660 (confirmée en 948) et bien délimité par un acte de 1328
- le district de l'évêché de Strasbourg entre le ruisseau de Still, la crête et le Netzenbach qui apparaît comme «fief» de l'abbaye de Haslach fondée avant 826: la charte de donation de l'empereur Louis le Pieux à l'évêque date de 816, mais elle remonte sans doute à l'époque mérovingienne - enfin, l'abbaye d'Andlau obtint à sa fondation (avant l'an 880) un patrimoine non situé à sa proximité, mais d'importantes forêts localisées au nord et au sud du Donon. Ces biens touchaient à la Bruche, puisqu'ils englobaient le secteur bien délimité entre le Wackenbach et le Netzenbach. Dans ce territoire appartenant à Andlau, aucun habitat n'est encore mentionné à cette époque.Seul le ruisseau de Netzenbach, qui sera appelé au moyen-âge Wischbach, apparaît sous les noms WICHIA (816) et WICHAHE (1059). La première mention avec sa terminaison latine en IA est particulièrement précieuse, puisqu'elle se rapporte sans doute à un établissement gallo-romain (vicus) dont le lieu-dit encore connu au VII° siècle perpétuerait le souvenir la terminaison AHE, quant à elle, est déjà germanique.Ce vicus installé quelque part sur l'emplacement du futur village de Wisches doit être mis en rapport avec la voie romaine partant de Strasbourg et franchissant la crête au col Entre les deux Donon. C'est à Wisches que cette route romaine quitte le flanc de la rive gauche de la Bruche et «s'élève» vers le Donon; le tracé de cette route antique est par ailleurs celui qu'empruntent encore de nos jours la «Gosse Saint Antoine» et le «Chemin des Vignes». La présence de l'établissement gallo-romain à Wisches peut s'expliquer par la nécessité d'une station qui procurait aux conducteurs un attelage d'appoint avant la dure montée vers le Donon comme cela s'est vérifié ailleurs pour d'autres routes romaines. Plusieurs restes d'un pavage romain étaient encore connus au début du XIX° siècle. Le professeur Curt Mundel, dans son Guide des Vosges, raconte les avoir suivis en 1904 au-dessus du cimetière de Wisches, en suivant le «Chemin des Vignes», peut-être vers la basse du Rond-Pré. Cette voie se retouve à l'époque médiévale, et plus tard, sous diverses dénominations: la Sente des Bouteillers en pays de langue française au début du XVI° siècle, son équivalent en allemand Bosselweg ou Bosslerweg à la même époque, le Chemin des Botteliers au XVIII° siècle, enfin le chemin de Saint-Quirin (voie de pèlerinage) au début du siècle dernier. Il reste encore à mentionner -au moins au moyen-âge- la présence à Wisches même d'un double péage: celui de l'évêque «der gross Zoll» et le «petit péage» des comtes de Salm avant que celui-ci ne soit transféré à Lafrimbolle.C'est dans ce même contexte de passage transvosgien (mais est-ce vraiment le hasard?) qu'émerge la localité médiévale de Wisches. Nous sommes au début du XIII° siècle, en 1213. Le duc de Lorraine, Thiébaut Ier est en guerre avec l'empereur Frédéric II de Hohenstaufen au sujet de la possession de la ville de Rosheim. Il envoie son infanterie en avant-garde dans la Vallée de la Bruche. Celle-ci, au lieu d'attendre le duc, s'aventure jusqu'à Rosheim où elle est surprise par un cuisant échec, dû principalement à l'ivresse causée par le bon vin des caves! Ce n'est qu'au cours du retour précipité que le «lieutenant» lorrain rencontre enfin Thiébaut et son armée restés auprès de Wisches (apud Wicha).«Le duc à cette nouvelle rebrousse alors chemin» ajoute le chroniqueur Richer de Senones, quasi contemporain des faits. Wisches constitue-t-il alors un point fortifié pour que l'armée lorraine s'y soit arrêtée? Est-ce plus simplement parce que l'étape appelée Wicha se trouve sur la route utilisée par Thiébaut de Lorraine venu peut être du Donon? On ne sait pas. Toujours est-il que la première mention connue de la localité de Wisches apparaît en 1213. Le territoire de Netzenbach-Wackenbach arriva aux mains de l'évêque sans doute vers 1226-1236 avec Guirbaden et l'héritage des comtes de Dabo également avoués de l'abbaye d'Andlau. Mais le district ne devint épiscopal que de manière très incomplète, l'abbesse d'Andlau y gardant des droits importants qui ne seront cédés à l'évêché qu'en 1539: de multiples taxes, deux tiers des forêts enfin le droit de justice incarné par celui de nommer l'écoutète. Le souvenir de l'abbaye d'Andlau comme seigneur foncier restera longtemps incrusté dans la mémoire des habitants. Un lieu-dit encore en usage en 1685 le prouve: le terrier de Wisches-Hersbach de cette année signale ainsi près du vallon du Tommelsbach (du côté de Hersbach) «cinq acres de champs en friche sur la montagne d'Andlau» (am Andlawer berg). Et puis, il y a cette silhouette étonnament vivante d'un écoutète épiscopal de pure souche au XVI° siècle: Jean Kubler (né, baptisé et habitant à Wisches). En 1579, il regarde derrière lui sa carrière écoulée - il a alors soixante-quatorze ans - et se plaint du temps présent et du tumulte des guerres. Mais il regrette avec une certaine amertume l'époque heureuse de ses prédécesseurs nommés par l'abbesse d'Andlau qui «avec moins de peine avaient de nombreux avantages en nature» et sans doute plus de prestige que lui au sein de la communauté.Au début du XVI° siècle, il ne peut sans doute pas encore être question de territoire propre à une localité mais uniquement de droits d'usage dans les forêts, de droits de parcours pour les troupeaux sur les chaumes et près des points d'eau, le tout encore en commun. C'est dans cette optique qu'il faut comprendre la démarche des communautés de Wisches et de Schirmeck qui se sont «accomodées» le 17 juillet 1545 devant le seigneur-évêque «au sujet de la glandée, coupes de bois et pasturages dans les forêts qu'ils [dont ils] jouissent par indivis». Plus tard, Schirmeck d'un côté, Wisches et Wackenbach de l'autre, arriveront en 1572 à séparer et aborner entièrement les deux territoires (appelés maintenant «bans») le long du Tommelsbach: c'est donc à cette date - et pour la somme de deux cents livres - que Wisches perd sa juridiction territoriale qu'elle avait réussi à maintenir depuis ses origines jusqu'à Wackenbach et le ruisseau de Framont.Sur le plan spirituel, Lutzelhouse et Urmatt forment deux paroisses en 1371: elles sont placées sous l'autorité de Haslach plus précisément du prévôt du chapitre qui en tire personnellement les revenus «die zwen kirchen Urmats und Lutzelhusen und iren zugehorden».
En fait cette situation remonte au moins au XIII° siècle, puisque les deux «ecclesia», Uormatten et Lutzelnhusen apparaissent pour la première fois en 1290. Il s'agit donc bien des deux seules paroisses existant sur le versant gauche de la Bruche entre les cours du Framont et de la Hasel et comprenant, comme c'est toujours le cas, un certain nombre de «filiales».
Ainsi parmi les habitats cités lors de la vente de 1366, le district paroissial de Lutzelhouse comprend deux autres lieux de culte connus: par un texte tardif pour Wackenbach où une petite chapelle existe en 1603, par un édifice pour Wisches. En effet, la chapelle du cimetière - dont l'étude archéologique reste encore à faire -remonte dans ses plus anciennes parties conservées au moins au XIV° siècle.
Le patron Saint Antoine y est attesté pour 1666, mais en 1758 la nouvelle église fut dédiée à Saint Michel. A ce moment Lutzelhouse était devenue annexe de Wisches et devait le rester jusqu'en 1802.
Le plus célèbre Wischois passé à la postérité est François Joseph Drouot dit Lamarche, général de division de la République, dont le nom Lamarche est inscrit sur l'Arc de Triomphe.
En 1794, la commune qui relevait du district de Benfeld demanda à être rattachée pour des raisons pratiques à celui de Senones. Cette modification administrative fut effectuée au printemps 1795 et Wisches fut ainsi incorporée au département des Vosges, pour en être de nouveau détachée en 1871 par le traité de Francfort. Par ce traité, la région qui est aujourd'hui constituée par les cantons de Schirmeck et de Saâles fut annexée à l'empire allemand en échange du Territoire de Belfort, qui lui faisait partie du département du Haut-Rhin, et n'avait pu être annexé car ses habitants s'étaient battus comme des lions.
La chapelle à l'entrée de Hersbach a été construite par la famille J.A. Douvier, exploitante des carrières de porphyre J.A. Douvier en souvenir de leur fils Raymond Douvier, décédé accidentellement au cours d'une partie de chasse le 23 septembre 1933.h)
Le blason de Wisches contient une croix de Saint Hubert; le saint Patron de Wisches est Saint Michel et l'ancienne église paroissiale est dédiée à Saint Antoine de Padoue, appelé à Wisches «Saint Antoine des cochons.» Ceci atteste du caractère fortement chrétien de Wisches. Selon certains auteurs, ce dernier prendrait son origine dans le rôle qu'aurait joué le ruisseau du Netzenbach comme barrière d'arrêt lors des grandes invasions des VIII° et IX° siècle. Cette théorie -dont la certification ne saurait aujourd'hui être faite avec un degré de confiance suffisant- s'appuye sur la présence de symboles non-chrétiens dans l'héraldisme de villages voisins.
(*) Le texte dont je m'inspire fait mention de "trouvailles romaines faites à Wisches". Je n'ai pas trouvé trace au Musée Archéologique de Strasbourg, ni dans les catalogues de ce dernier, de ces soi-disant "trouvailles romaines".
mes sources:
Jean Braun, Cahiers Alsaciens d'Archéologie d'Art et d'Histoire, XII, (1968) p.39
La communauté et la paroisse de Wisches sous l'Ancien Régime, Arnold Kientzler, l'Essor n° 150, Spécial Wisches Hersbach, mars 1991
Encyclopédie de l'Alsace, Editions PubliTotal
Le Baillage épiscopal de Schirmeck, Arnold Kientzler, l'Essor n° 84, septembre 1973
Le Ban de la Roche au temps des seigneurs de Rathsamhausen et de Veldenz, Denis Leypold, Librairie Oberlin (1989)
h)
Claude Jérôme, l'Essor 150 (mars 1995)
Rapide survol historique et chronologique
IIIème siècle Saint-Antoine dit l'Égyptien est appelé alors le père des moines. Il est né en 251 à Quéman-el-Arous en Haute Egypte et est mort en 356, âgé de 105 ans. Il finira ses jours dans une grotte du mont Qolzum au bord de la mer Rouge.
1070 Jocelyn, suite à une promesse faite à son père, ramena les restes de saint Antoine d'Egypte en France, en son village «La Motte au Bois» (Saint-Antoine-l'Abbaye, aujourd'hui).
1088 Les Bénédictins de Montmajours sont chargés de veiller aux reliques du saint, tandis que «les Frères de l'Aumône » soignent les malades atteints principalement du mal des ardents (appelé aussi feu Saint-Antoine»), provoqué par une moisissure du seigle (l'ergot du seigle)
1297 Cette vocation hospitalière se développe et les Frères de l'Aumône prennent le pas sur le Prieuré Bénédictin
XIV° siècle La structure centralisée de l'Ordre est ébranlée par le Grand Schisme
XVI° siècle Les guerres de religion détruiront une grande partie des structures et bâtiments qui devront être presque entièrement reconstruits.
XVII° siècle L'amélioration de la nourriture et de l'hygiène de vie, faisant disparaître les grandes épidémies, fait perdre aux Antonins leur raison d'être.
1775 L'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, appelé aussi ordre de Malte, absorbe les Antonins.
L'Echo des 3 Provinces n° 12, décembre 2006
Saint Antoine, dit l'Egyptien est appelé le père des moines. Antoine est issu d'une famille aisée. Devenu orphelin à l'âge de 18 ans, il vend ses biens et se retire dans un ermitage en quête de perfection.
Antoine vécut une vie d'ermite et passa de nombreuses années dans le désert afin de lutter contre les démons qui le persécutaient et lui faisaient endurer d'atroces souffrances. Dès le début de sa vie ascétique, le diable, jaloux de sa destinée, tente d'éveiller sa convoitise et se manifeste sous les traits multiples d'une femme, d'un enfant ou ceux terrifiants de bêtes féroces. Saint Antoine triomphe de ces turpitudes diaboliques, de ces tentations par le jeûne et la prière et se réfugie dans l'ascèse la plus sévère.
Auréolé de sainteté par les miracles qu'il accomplit, Antoine est appelé à Alexandrie en 311 par les chrétiens persécutés puis vers 338, afin de lutter contre le paganisme et l'hérésie véhiculés par les Ariens. Tout au long de sa vie, il soigna de nombreux malades.
Le mal des ardents
Les reliques étaient parmi celles qui guérissaient "le mal des ardents" ou feu Saint-Antoine qui envahissait périodiquement l'Europe entre le XI° et le XVII° siècle. De tous les fléaux qui déciment les populations dans toute l'Europe, ce mal est l'un des plus meurtriers. Il apparaît en Dauphiné vers 1090-1096.
Contractée par intoxication alimentaire, la maladie présente deux aspects distincts : l'un convulsivant, l'autre gangréneux. Elle laisse des lésions irrémédiables, les muscles se raidissent, les membres se gangrènent, affligés de plaies purulentes et nauséabondes, une mauvaise irrigation du cerveau provoque chez le malade un état hallucinatoire, proche de la démence.
Face à ce mal terrifiant, la croyance en la puissance miraculeuse d'un saint et plus particulièrement en celle de saint Antoine, demeure pour de nombreux malades le seul recours. En 1596, la faculté de médecine de Marbourg (Allemagne) attribue l'origine du mal au seigle ergoté (l'ergot est un champignon parasite nommé Claviceps purpurea) qui, absorbé, entraîne un empoisonnement du sang.
Le mal commençait par une tache noire qui s'étendait rapidement, causant une ardeur insupportable, desséchait la peau, pourrissait les chairs et les muscles qui se détachaient des parties osseuses et tombaient par lambeaux. Feu dévorant, il brûlait petit à petit et enfin consumait ses victimes sans qu'on put apporter de soulagement à leurs souffrances. Plusieurs éprouvaient ses plus cruelles atteintes dans l'espace d'une nuit; s'ils ne mourraient pas au bout de quelques heures. Écrit de Sigebert de Gembloux au XIème siècle.
Les Antonins et le rétable d'Issenheim
Deux seigneurs guéris de ce mal fondèrent "les Hospitaliers de Saint Antoine" ou Antonins à la Motte Saint Didier (Isère), devenu Saint Antoine en Dauphiné. Les Antonins jouissaient du privilège de laisser aller leurs troupeaux sans payer de taxes. Saint Antoine ermite est accompagné d'un petit cochon. À partir du XV° siècle, le porc et la sonnette, les flammes s'échappant d'un membre malade, le bâton en forme de "Tau" ou T, issu de la béquille des estropiés sont les attributs de Saint Antoine.
La commanderie des Antonins d'Issenheim
La maison d'Issenheim, qui dépendait de l'ordre des Antonins, fut fondée dans les premières années du XIV° siècle. De vocation hospitalière, elle accueillait et soignait les malades atteints du mal des ardents ou feu de Saint Antoine, qui venaient se mettre sous la protection du saint. La nourriture saine et les soins apportés à Issenheim - boissons ou onguent à base de plantes calmantes, amputation des membres gangrenés - assuraient la réputation de la commanderie. Le retable participait certainement à cette thérapie en offrant aux fidèles l'exemple des souffrances du Christ et de Saint Antoine. Nous savons que les malades étaient conduits dans le choeur au pied du retable où, suivant les moments liturgiques, ils vénéraient saint Antoine (retable ouvert ou fermé), étaient confrontés à l'accomplissement de la Nouvelle Loi (Annonciation, Incarnation, Résurrection), ou priaient devant le sacrifice du Christ (retable fermé, Crucifixion).
 
La «Roche solaire» de Wisches
 













Sur le flanc Est du Kohlberg, à 577 mètres d'altitude, en pleine forêt communale de Wisches,  loin de toute habitation, mais à quelques mètres seulement d'un carrefour de chemins carrossables, la Roche Solaire a de quoi intriguer le passant.
 
Les faits constatés.
Cet énorme bloc de grès vosgien a vaguement la forme d'un parallélépipède rectangle de 6 mètres de longueur, 2,5 mètres de largeur et 2,5 mètres de hauteur. Un bloc plus petit, disposé à cet effet contre l'un de ses flancs, sert de marche-pied et permet d'accéder plus facilement sur le plateau de cette table naturelle. Son grand axe est orienté nord-sud et sa masse, compte-tenu de la densité du grès, peut être estimée à environ 96 tonnes.
L'analyse d'un échantillon de matière rocheuse, prélevée par un habitant de Wisches et effectuée par l'un des services du Centre National de la Recherche Scientifique de Strasbourg, a mis en évidence une faible radioactivité naturelle moins de 40 becquerels par kg et comparable à celle des autres pierres naturelles comme le granit - et une radio-activité artificielle à l'état de traces insignifiantes dues aux événements de Tchernobyl (URSS) en mai 19861).
Ce qui surprend le plus le promeneur, mises à part les dimensions de ce mégalithe, c'est le fait qu'il soit isolé, solitaire. Des fissures dûes à l'érosion soulignent la disposition des différentes strates ou couches de sable cimenté qui le composent. Ceci prouve que la roche ne se trouve pas à sa place originelle et qu'elle a subi un renversement. C'est le résultat d'un éboulement intervenu il y a très longtemps, probablement lors de la dernière période glaciaire, à la suite de la fragmentation du front de la côte gréseuse par le gel. Ce phénomène naturel est bien connu des géologues qui parlent de gélifraction ou de cryoclastie.
 
Les interprétations.
Au vu de ses dimensions, de sa situation, de son isolement, il n'est pas à étonnant que la Roche Solaire ait stimulé l'imagination populaire quant à un soit disant pouvoir surnaturel.
Un informateursnous a signalé que son grand-père, artisan de profession et guérisseur à l'occasion, se rendait régulièrement sur les lieux afin de «se ressourcer», de refaire le plein de «flux bénéfique». Sa spécialité était la guérison du «mal au foie». D'après notre interloculteur, de nombreux autres «sorciers» fréquentaient cette «source bénéfique».
Dans le même ordre d'idées, un ouvrage paru en 1983 et recensant les lieux magiques et sacrés d'Alsace et des Vosges parle de la Roche Solaire en ces termes: C'est en mesurant la puissance des rayonnements de cette pierre avec le géodynamètre que le mystère s'épaissit . ... La roche, par sa fonction de table de culte ou d'autel a capté les fluides spirituels lors de cultes, comme les églises et chapelles s'imprègnent de la foi et des prières des fidèles.
L'imprégnation positive et bénéfique de cette roche suit les mêmes lois que le principe du phénomène des «pierres magiques» que possèdent certaines personnes et qui leur ouvrent les portes de la chance, du succès et de la réussite. Ces «pierres magiques» ont été «imbibées» d'éléments positifs, physiques et psychiques. Elles agissent selon la loi psychologique de la suggestion, ce qui est indéniable, mais essentiellement par le positivisme qu'elles véhiculent.2)
Nous arrêtons là cet échantillon de charabia pseudo-scientifique qui s'étale sur trois pages et qui ne convainc que les âmes prêtes à les accepter sans s'interroger sur leur sérieux.
L'appellation.
L'énigme grandit si l'on essaie de trouver l'origine et le sens de l'appellation de notre roche. Deux versions nous ont été fournies à ce jour.
La première veut qu'autrefois ce monument naturel fût doté d'un système indiquant l'heure aux passants, à l'instar d'un cadran solaire. Il est vrai que le chemin qui passe à proximité était bien plus fréquenté autrefois que de nos jours, car il était utilisé pour se rendre en Lorraine par le Col entre les Deux Donons, ou en revenir. D'ailleurs un lieu-dit situé à quelques kilomètres plus au nord du site qui nous intéresse se nomme Fontaine des Carpes. En effet, c'est là que les voyageurs, de retour de la région des étangs lorrains qui venaient d'être vidés, ravigoraient les poissons vivants qu'ils rapportaient en Alsace.
La seconde, bien moins poétique, mais plus vraisemblable, veut que le qualificatif «solaire» soit plus prosaïquement la déformation de l'adjectif «solitaire».
Le dépouillement du cadastre et de toutes les cartes anciennes disponibles nous apprend que cette dénomination est récente, et n'apparaît pour la première fois sur des documents de l'Institut Géographique National qu'après la Seconde Guerre Mondiale.
Nos convictions.
De multiples arrêts sur les lieux, des conversations répétées avec des spécialistes et le résultat des analyses scientifiques nous ont amené à nous forger trois convictions:
- la Roche Solaire n'est ni magique, ni bénéfique, ni surnaturelle, et ne présente aucun élément mystérieux ou inexplicable;
- sa dénomination a peu de chances d'être en rapport avec le soleil, car son emplacement est quasiment toujours à l'ombre;
- l'intérêt qu'on lui porte et le rôle surnaturel qu'on lui attribue sont d'origine plutôt récente.
Le phénomène de la sacralisation d'un élément naturel qui sort de l'ordinaire auquel nous assistons dans ce cas précis n'est pas nouveau. Ne lit-on pas dans l'Ancien Testament déjà : Ne va pas lever les yeux vers le ciel, regarder le soleil, la lune et les étoiles... et te laisser entraîner à te prosterner devant eux et à les servir? 3)
Le plus étonnant, dans toute cette histoire, est certainement que cette croyance perdure, en Alsace, et en ce début du XXI° siècle.
Claude JÉRÔME
quelques modif. P Ju
L'Essor, revue des Anciens du Cours Complémentaire de Schirmeck, n° 152 (septembre 1991)
1) Résultat aimablement communiqués par Madame E. Sistel que nous remercions
2) G. Altenbach et B. Legrais, Lieux magiques et sacrés d'Alsace et des Voges, (Les hauts lieux vibratoires de la santé), 1983.
3) Deutéronome, chapitre IV, verset 15
 
Une fête antirabique à Wisches
 

ou
la naissance de la Confrérie Saint Hubert
 
Dans les dernières années, la rage a fait couler beaucoup d'encre. Des procédés divers ont été proposés pour enrayer la terrible maladie mais, à notre connaissance, on n'a pas envisagé celui auquel les habitants de Wisches et de Netzenbach recoururent en 1721: un voeu à saint Hubert.
Ils se réunirent dans l'église saint Michel de Wisches et promirent de chômer, chaque année, le 3 novembre, fête de saint Hubert, et d'assister à une messe solennelle à la suite de laquelle on distribuerait du pain bénit. Pour bien faire, on anticipa cette célébration, pour la première année, au 21 mars. Mais lisons plutôt la relation que le curé Jean-Jacques BERTOUME nota sur la dernière page de son registre paroissial1:
"L'an Mil Sept Cent Vingt et un Le Vingt et unieme Jour du mois de mars, sont convenüs Les habitants tant de la Communauté de Vich que de celle du Netzenbach sur la montagne ou est situé leur Eglise sous le titre du Bienheureux St Michaël arcange Leur patron, dans le dessein d'y éfectuer unanimement un veux qu'ils ont promis au Bien heureux St Humbert afin que par son intercession ils puissent obtenir de dieu la grace d'estre preservés, et tous ce qui Leur appartient, de La rage et de ses accidents; + Le quel veux estant juste et plein de religion, et pour remedier a un malheur des-ia comencé, a esté receüe par Mre J.Jacques BERTOUME Leur pasteur Legitime comme sensuit. Promettent Les susdts habitans tant de la Communauté de Vich, que de celle du netzenbach entre Les Mains de Leur Curé, de garder et d'observer le troisieme jour du mois de novembre de chacques années aperpetuité en Lhonneur du grand st Hubert, de sabstenir de tous traveaux pendant Ledt iour, dassister a La Messe Solemnelle qui se chentera en Leure dite Église par Leur Curé ou par un autre constitué de sa part, Laquelle messe sera à La Charge des deux dites comuneautes. L'on benira un pain qui se couppera en morceaux pour qu'il en soit fait La distribution au peuple assistant a cette devotion, qui a esté anticipé par Le zel desdtes Comuneautes qui ont demandes une messe Solemnelle, qui a este Chenté par Mre J.Jacques BERTOUME Leur Susdit pasteur a Lhonneur du St invocqué par eux, en laquelle Les paroissiens et tous autres ont estes a Loffrende, et ont exigé ensuite que cette pratique soit continüé et observé par Leurs Successeurs, comme elle a (este ?)  2  institué pieusement et commencé par eux a Lhonneur ( ....) 2Bien heureux grand St Humbert".
 
Pourtant. de son vivant, saint Hubert aurait sans doute été le premier surpris de savoir que des Bruchois se placeraient sous sa protection pour éviter la rage! En effet, l'Histoire ne le met pas plus en relation avec cette maladie qu'avec la chasse: c'est la Légende qui s'en charge.
 
Hubert3 était évêque de Tongres-Maestricht-Liège, et mourut en 727. Les miracles survenus à son tombeau eurent pour conséquence, en 743, de faire élever ses reliques: c'était l'équivalent d'une canonisation. Carloman, maire du palais, contribua lui-même à les porter devant l'autel des Saints Apôtres de Liège. Mais les restes de saint Hubert ne restèrent pas là où on les avait placés. En 825, Liège les céda partiellement au monastère d'Andage, dans les Ardennes. Les moines finirent par se convaincre qu'ils possédaient le saint entier.
 
Or, les Ardennes pays giboyeux, comptaient énormément de chasseurs parmi leurs habitants. Le saint des Ardennes devint donc le saint des chasseurs avant d'être présenté comme un chasseur lui-même.
 
Tout le monde connais la célèbre légende: jeune seigneur passionné de chasse, Hubert se lance dans la forêt le jour même de Noël avec sa meute et ses piqueurs. II est sur le point de forcer un cerf quand celui-ci se retourne et lui fait front. Entre les bois de la superbe bête apparaît un crucifix, pendant qu'une voix céleste reproche à Hubert de délaisser Dieu. Et le chasseur se convertit...
 
L'hagiographe qui au XV° siècle ou un peu avant, a rédigé ce récit manquait un peu d'imagination: il s'est contenté de réutiliser pour saint Hubert la légende de saint Eustache, l'un des célèbres "Quatorze Saints Auxiliateurs"4. Mais cela, les dévots du Moyen-Age et des siècles suivants s'en souciaient peu. C'est peut-être parce que leur patron avait une réputation de chasseur que les moines de saint Hubert au XV° siècle, élevaient des chiens de chasse pour l'Allemagne.
 
En tout cas, s'il est une maladie que l'on craint pour sa meute, pour son bétail ou pour soi-même dans une région riche en gibier, c'est bien la rage. Rien d'étonnant, alors, si saint Hubert s'est retrouvé un jour guérisseur de cette maladie et spécialiste de la prévention antirabique, aussi bien pour les bêtes que pour les gens. Ainsi se développèrent un certain nombre de pratiques.
 
Celle de la "taille" remonterait à 950. Elle consistait à faire au front de la personne mordue une incision qu'on mettait ensuite en contact avec un morceau de l'étole de saint Hubert. Cette coutume était appelée à une longue vie et à un certain succès, puisqu'en mai 1811 on enregistra le record de trois cent trente tailles. Il est à espérer que certaines n'étaient que préventives, car on s'effraie de penser que trois cent trente personnes pourraient avoir été mordues en un mois! Précisons que la taille devait être suivie d'une neuvaine de prières.
On avait aussi des "clés de saint Hubert", pour cautériser les plaies des animaux suspects ou, préventivement, pour signer les chiens au front. Enfin, on faisait usage d'un pain bénit spécial, destiné lui aussi à prévenir les effets de la rage. C'est lui que nous retrouvons à Wisches. Il faut dire qu'on distribuait aussi du pain bénit en relation avec d'autres saints. Encore aujourd'hui, les gens de La Robertsau connaissent le pain bénit de saint Fiacre, offert par les jardiniers le jour où on fête leur patron. Et pour rester au XVIII° siècle, Diderot nous apprend, dans l'article "Pain béni" de l'Encyclopédie, parue une vingtaine d'années après le voeu de Wisches, qu'il s'en distribuait tous les dimanches dans des paroisses nombreuses: "On sait qu'il y a dans le royaume plus de quarante mille paroisses où l'on distribue du pain béni, quelquefois même à deux grand'messes en un jour, sans compter ceux des confréries, ceux des différents corps des arts et du négoce". Et le philosophe de lancer une vigoureuse attaque contre cette pratique si répandue... Mais revenons à saint Hubert.
 
On ne l'honorait pas seulement à Andange, devenu Saint-Hubert-Ardennes, évidemment. Des confréries se créèrent un peu partout. comme à Urville en 1679 5. La démarche des habitants de Wisches et de Netzenbach n'a donc rien de surprenant.
 
D'après notre texte, il ne s'agit pas seulement de se protéger contre la rage mais aussi d'y remédier. Sans doute beaucoup de gens ou d'animaux avaient-ils été mordus pendant l'hiver 1720-1721, ce qui expliquerait le voeu, bien sûr, mais surtout l'anticipation de la cérémonie au 21 mars: le 3 novembre était encore loin, il fallait s'assurer les bonnes grâces du saint le plus vite possible!
 
On peut remarquer que seuls sont concernés les gens de Wisches et de Netzenbach alors que à l'époque, la paroisse comportait encore Muhlbach et Lutzelhouse. L'église de ce dernier village avait d'ailleurs été centre de la paroisse avant de devenir annexe de celle de Wisches au XVIII°siècle6. On voit que Netzenbach n'a pas attendu 1976 pour agir de concert avec Wisches!7
 
Ce qui parait curieux, c'est la mention de l'église saint Michel "sur la montagne". L'église romane du Haut de Wisches qui correspondrait à cette situation a de tout temps été consacrée à saint Antoine. L'église saint Michel ne s'est-elle pas toujours trouvée à son emplacement actuel? Car elle ne semble vraiment pas se trouver "sur la montagne"... Nous sommes incapables de répondre.
 
Toujours est-il que le document de 1721 nous séduit parce qu'il nous donne l'origine d'une coutume toujours vivace. Aujourd'hui encore, à Wisches on célèbre solennellement la saint Hubert. La grand-messe prend un éclat particulier. Un couple offre le pain bénit - en l'occurence des kougelhofs  - qu'on distribue à l'assistance et qu'on porte à domicile aux personnes âgées ou malades. Et bien sûr, on désigne le couple qui assumera la fourniture du pain bénit l'année suivante.
 
Oui, Wisches fête la saint Hubert, mais ne sait plus pourquoi. C'est tout de même une belle fidélité à la tradition que de conserver, au bout de deux siècles et demi, une coutume dont on a oublié le sens...
 
En 1721, Pasteur n'était pas né, on ne gazait pas les terriers, on n'empoisonnait pas les renards: on ne voyait pas d'autre secours contre la rage que celui du saint spécialiste. Et c'est pour cela qu'à Wisches, cette année encore, on a mangé du kougelhopf après la messe de saint Hubert!
 
Gérard et Marie-Thérèse FISCHER
L'Essor, revue des Anciens du Cours Complémentaire de Schirmeck, n° ?
1) Archives Départementales du Bas-Rhin, E 276. Tome 1.
2) Fragment illisible
3) La plupart des renseignements sur saint Hubert et son culte son tirés de "Vies des saints et des bienheureux selon l'ordre du calendrier avec l'historique des fêtes" RR.PP. Baudot et Chaussin, O.S.B. Tome X I, pp 102-106
4) Les Quatorze Auxiliateurs sont les saintes Catherine, Barbe, Marguerite, et les saints Erasme, Eustache, Guy, Gilles, Blaise, Denis, Acacius, Pantatéon. Cyriaque, Georges et Christophe. Chacun a ses spécialités: tout le monde connais celle de saint Christophe! Saint Eustache, pour sa part, protège du feu de l'Enfer. Cf. Robert Guidat: "Guide iconographique à travers l'Alsace".
5) Voir "Ils sont nos aïeux..." du chanoine André Laurent. pp. 174-179.
6) Voir le "Handbuch der elsässischen Kirchen im Mittelalter", du chanoine Médard Barth.
Règlement et statuts de la dévotion à St Hubert
 
À lire à Vêpres après Magnificat, le jour de la solemnité de St Hubert
Règlements et statuts de la dévotion à St Hubert,
 
établis en la paroisse de Wisch le 21 Mars 1721
Art. I. L'an 1721, le 21 Mars, les habitants de Wisch et de Netzenbach, assemblés en présence de Mr le curé Barthomé dans l'ancienne église de St Antoine ont fait voeu de garder à perpétuité la fête de St Hubert afin d'obtenir par son intercession la grâce d'être préservés et tout ce qui leur appartient, de la rage et de ses accidents, lequel voeu est bien réfléchi et plein de religion, ayant été solennellement fait et déclaré, en conséquence des malheurs et accidents arrivés dans ladite paroisse, qui causèrent de grands troubles et inquiétudes dans l'esprit des paroissiens.
Art. II. On présentera un pain qui sera bénit à la messe solennelle pour ensuite être distribué aux assistants. Tous les confrères iront à l'offrande; cet usage sera exécuté et continué par leurs successeurs, en foi de quoi ils ont tous signé pour la validité de leurs promesses et engagements.
Art. III. Ceux qui désireront se faire inscrire dans la Confrérie de St Hubert seront tenus de garder inviolablement les règles et statuts que ladite Confrérie propose.
Art. IV. Ceux qui ne seront pas reconnus pour être de bonnes moeurs et de bonne conduite seront refusés.
Art. V. Le jour que l'on se fera inscrire et recevoir dans ladite Confrérie, on sera obligé de se confesser et de communier, afin d'ôter tous les obstacles qui nous éloignent de la grâce de Dieu.
Art. VI. Les quatre dimanches du quartier de St Hubert sont les deuxième dimanches de Janvier, Mars, Mai et Août. Les confrères doivent y aller à l'offrande comme en la fête de St Hubert. Ces cinq jours, on fait la procession avant la messe.
Art. VII. Les confrères et consoeurs qui accompagnent le Tr. Saint Sacrement, étant dans la maison du malade, diront pour lui un Pater, un Ave et un Gloria Patri et ceux qui seront en état d'assister le malade de quelque aumône, selon leur faculté, seront invités de le faire.
Art. VIII. Dès qu'un confrère ou consoeur sera décédé, les confrères seront avertis de s'y trouver, et on choisira parmi eux quatre pour porter le mort en l'église, le jour de la sépulture. Ils assisteront à l'enterrement, au service de ce jour et à celui qui sera recommandé pour le confrère défunt, ce dont les confrères ne pourront se dispenser sans motif légitime.
Art. IX Les lendemain de la grande fête, on chantera une messe solennelle pour tous les défunts confrères et consoeurs, et les bienfaiteurs de la confrérie. Les confrères et consoeurs doivent y assister.
Art. IX. On exhorte tous les confrères et consoeurs en général d'approcher des sacrements les jours de fête de la Confrérie, d'édifier par leur piété, par leur conduite, tous les fidèles de la paroisse et ceux du voisinage; que ce ne soit point par un esprit de vanité ni de présomption, mais par un esprit de religion, en vue d'obtenir les grâces et les miséricordes du Seigneur qui daigne répandre sur tous les confrères ses influences célestes, pour participer aux indulgences qui y sont attachées; que dans cette association, nous ne cherchions que de plaire à Dieu; que nous vivions les uns et les autres avec une telle charité et une telle union, qu'elle nous devienne à jamais méritoire pour la Gloire de Dieu et pour le salut de nous tous.
 
Ainsi soit-il,
 
Le voeu de célébrer la fête de St Hubert a été prononcé le 21 mars 1721.
La Confrérie a été établie le 3 janvier 1770 .
Les Membres de la Confrérie de Saint Hubert
 
1951-1964  Abbé César Strohmeyer
Madame et Monsieur
1951Vincent Carbonnel
1952Prosper Charlier
1953Germain Charton
1954Henri Ganier
1955Joseph Huck
1956Louis Jérôme
1957Camille Juillot
1958Joseph L'Hôte
1959Jacques Luiz
1960Paul Moser
1961Ernest Rodeghiero
1962Augustin Seel
1963Emile Weber
1964Joseph Paclet
1964-1984 Abbé Jacques Piguenet 1965-novembre 1984 (décédé le 27/08/1992)
Madame et Monsieur
1965Ferdinand Wurster
1966François Paclet
1967Pierre Jaeg
1968Bernard Richard
1969Paul Maurer
1970Charles Wietrich
1971Henri Melot
1972François Bouillon
1973Albert Weber
1974Maurice Maréchal
1975Fernand Fourché
1976Ernest Hietter
1977Jules Ferry
1978Jean Moser
1979Hubert Mehl
1980Roger Stouvenel
1981Léon Baret
1982Hubert L'Hôte
1983Louis Quéro
1984André Rodeghiero
1985-1987  Abbé Jean Georges Bergantz
Madame et Monsieur
1985Roland Claude
1986Hubert Trappler
1987Jean Soudière
1988-1991  Abbé A. Adler
Madame et Monsieur
1988Richard Munsch
1989Robert Guy
1990Joseph Hochstetter
1991Ernest Ohrel
1992-1999  Abbé Jean Georges Bergantz
Madame et Monsieur
1992André Ostwald
1993Claude Ferry
1994Carlos Leitao
1995Jacky Schmittenknecht
1996Armando Da Silva Naschimento
1997Bernard Dieffenbronn
1998Jean Ruffenach
1999Georges Alard
2000 ->  Abbé Miroslaw Kula
Madame et Monsieur
2000Alain Hubert
2001Ewald Roos
2002Guy Vaney
 

Les Malins de Wisches
 
Je vais vous raconter une histoire, l'histoire de deux villages. Les bêtes de Russ et les malins de Wisches.
Il y a déjà bien, bien longtemps. C'était au début qu'on parlait de l'hygiène, qu'il fallait se laver, se baigner. Alors le préfet avait fait parvenir des circulaires dans les mairies. Le maire et ses conseillers devaient donner le bon exemple et aller se baigner en public pour que les gens les voient. À Russ, quand le maire a eu cette feuille-là, il a envoyé son conseil et il a dit: «Voilà, il faudrait quand même y aller, il faudrait aller se baigner». Il y en avait un qui ne voulait pas, il disait que la sage-femme les avait baignés en venant au monde et les avait lavés pour le reste de la vie.
 
Mais enfin le maire a quand même réussi à les convaincre. Il a dit: «Dimanche prochain, après la petite messe, chacun prendra un essuie-mains et un bout de savon, et puis comme ça le village verra que l'on doit se baigner». Mais où? Eh bien, à la Bruche. Il n'y a pas d'autre ruisseau, ici. Alors le dimanche matin, ma foi, toute l'équipe y alla. Entre Steinbach et Russ, Steinbach est une annexe de Russ; là, la Bruche est assez calme. Et puis, ma foi, quand ils y sont arrivés, il y en a un qui a mis son petit doigt dans l'eau. Bien sûr, c'était au mois de mai, mais l'eau n'était pas chaude. Il a dit: «Bon sang qué pas chaud là...» Un autre a dit: «J'ai un champ de luzerne pas loin d'ici, tout près d'ici». «Un champ de luzerne?». «On pourrait se baigner dans la luzerne, y'a encore la rosée du matin. On serait quitte de se noyer et ça irait aussi». Le maire lui a dit: «T'as une bonne idée».
 
Alors ma foi, ils ont été voir le champ de luzerne. Puis ils se sont déshabillés et ont fait semblant de nager là-dedans. Alors le maire a dit: «Quand je sifflerai, ce sera le rassemblement». Au bout d'un certain temps, quand il a pensé que ça suffisait, il a sifflé et ils se sont rassemblés. Alors le maire a dit: «Je dois vous compter pour voir s'il n'y en a pas un qui manque». Il a commencé à compter: «Moi et toi, un deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix». «Ah mais, qu'y dit, il en manque deux?». Il a recommencé: «Moi, toi, un, deux, trois...» Il a encore une fois recommencé: «Moi, toi, un, deux, trois, quatre, cinq... dix». «Bon sang, qu'y dit, y'en a deux de noyés».
 
Alors un de Wisches qui passait par là, sur le chemin des champs et qui avait vu ce cirque, dit au maire: «Ton système de compte, moi et toi, un, ce n'est pas juste». «Eh ben, dit l'autre, comment qu'y faut faire?» Y'avait une bouse de vache toute fraîche sur le chemin des champs. L'autre a dit: «Que chacun trempe son nez dans la bouse de vache. Après vous compterez les trous, et vous verrez, ce sera juste». «Tu crois?» «Oui». Eh ben, y'ont fait. Chacun a trempé le nez dans la bouse (vous n'avez pas besoin de vous essayez le nez comme ça en me lisant !). Alors, ma foi, le maire a compté les trous: «Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze». «C'est juste», qu'y dit. Alors quand celui de Wisches est rentré au village, il a raconté l'histoire et il a dit: «Les bêtes de Russ! » Les "Russ", de leur côté, ont dit: «Les "Wisches", ça c'est des malins!».
 
Rappelons que Wisches est situé à la frontière linguistique. A l'entrée de cette commune une pancarte affichait jusqu'en 1939: «Ici commence le pays de la liberté».
 
L'Alsace Comptée. Mythes et Récits des Vallées Vosgiennes
Editions Gérard Klopp, Thionville Strasbourg (1986)
à présent, je ne peux pas ne pas donner la parole aux gens de Russ:
de Dorothée Longhi,
... étant de Russ, j'ai une autre version de l'histoire des "bêtes de Russ" qui serait dûe, d'après ma grand mère, au fait que les animaux des gens de Russ étaient les plus beaux de la vallée!
 
Une croix à Wisches
 
Environs de WISCHES
- Netzenbach - 1812 -
La plus émouvante des croix se trouve au bord de la route nationale, à la sortie de Wisches vers Lutzelhouse, 200 mètres environ après le pont sur le ruisseau, à gauche.
L'inscription, longue et détaillée, est en allemand1)  et s'effrite actuellement à certains endroits. Elle est d'un style maladroit et difficile à traduire si l'on veut lui conserver son côté gauche et touchant. «En l'honneur de l'amère souffrance et mort de Jésus Christ ont fait faire la croix les époux bourgeois Joseph Gross et Marguerite Oberry de Muhlbach à cause de leur fils Joseph Gross célibataire âgé de 19 ans et ici à l'emplacement de la croix par plusieurs coups de couteau le 16 octobre 1811 a perdu sa vie et nous implorons chaque chrétien de prier pour son âme un Notre Père ô vous chrétiens tous ensemble contemple ce lieu près de Netzenbach ici j'ai dû laisser ma jeune vie la croix est érigée en l'an de Christ le 21 mars 1812».
La victime de ce malheureux fait divers était née le 24 février 1792 à Muhlbach sur Bruche. Son parrain s'appelait François Alex Luz (Lutz) fils unique de J. Michel Luz et Marie Schaffet. Sa marraine fut Anne Ursule Eigel, fille unique de Jacques Eigel et Marie Madeleine Wiant2).
«Le décès [du jeune homme] est constaté par procès-verbal d'Alexis Mayer officier de police en date du 13. 10. 1811 et par lui adressé à l'officier d'état civil qui a rédigé, sur ledit décès, le présent acte qu'il a signé»3). Il ne nous a pas été possible de retrouver ce procès-verbal, qui nous aurait éclairé davantage sur cet «accident».
Mais l'on comprendra peut-être mieux la douleur des parents quand l'on saura qu'ils n'ont eu ce fils unique qu'au bout de seize années de mariage. En effet, Joseph, fils de Martin Gross (+) et de Marguerite Eigel, de Muhlbach, a épousé le 20 mai 1776 à Russ Marguerite Aubry, fille de Nicolas Aubry (+) et Marguerite André, de Russ. La mère éplorée est décédée le 14 octobre 1822 à Muhlbach, le père le 2 janvier 1828 au même lieu 4). À la lecture des différents documents, nous pouvons remarquer une fois de plus l'extrême variabilité de l'orthographe des noms propres 5), surtout des noms de famille; ainsi celui de l'épouse s'écrit indifféremment, selon les actes, AUBRY, OBRY ou OBERRY.
L'Essor, revue des Anciens du Cours Complémentaire de Schirmeck, n° 90 (Noel 1975)
(1) Le ruisseau de Netzenbach servait longtemps de frontière administrative. Voir à ce sujet A. Kientzler: «Le Bailliage épiscopal de Schirmeck» Ce fait explique peut-être la langue allemande employée dans l'inscription.
(2) Registre des naissances de 1792, en latin, conservé à la mairie de MUHLBACH-SUR-BRUCHE et aimablement communiqué par M. Lorber, secrétaire.
(3) Registre conservé à la mairie de Lutzelhouse.
(4) ABR 4 E 306.
(5) NETZEPAR pour NETZENBACH.
 

Noms de ruisseaux et de scieries dans les environs de Wisches
 
«Les scieries occupent, en général, des endroits très pittoresques et ne manquent pas elles-mêmes d'un certain charme poétique, avec leurs eaux qui grondent dans des conduits, avec leurs roues éplorées, avec leurs toits qui fument au milieu de la verdure. Elles sont toujours placées près d'un torrent loin des villages et hameaux. [..]. On ne le laisse chômer ni les fêtes, ni les dimanches, ni le jour, ni la nuit. Deux hommes se relaient pour lui fournir sa proie. Son bruit monotone se mêle au grave murmure de l'onde sauvage, qui écume parmi les rochers, aux symphonies des bois, aux lamentables clameurs de l'épervier, de la buse et du mitan. Dès que l'ombre enveloppe les montagnes, la lampe des scieries projette ses rayons à travers les rameaux, comme un phare conducteur, comme une étoile propice allumée dans le désert pour les voyageurs égarés 1. »
 
Cette courte et suggestive description date de l'année 1857. Elle permet au lecteur de faire un retour en arrière de plus d'un siècle; il lui faut imaginer l'activité humaine intense de la Vallée de la Bruche, celle de la vallée principale mais aussi celle des petites vallées latérales formées par les affluents de la Bruche, de la Sarre et de la Moselle.
Tout concourait autrefois à rendre actifs nos vallons. On utilisait les chemins, les gués et les ponts pour circuler, rentrer le foin des prairies riveraines, sortir des forêts ce qu'on y trouvait: la chaux, la tourbe, la pierre mais surtout le bois de chauffage et de construction.
Le véritable moteur de nos vallées restait toutefois l'eau, l'irremplaçable force motrice de nos Vosges, abondante et gratuite.
Au début du XIX° siècle, les grandes "fabriques" textiles utilisaient principalement l'eau de la Bruche soit directement, soit au moyen d'un canal d'amenée. Mais bien auparavant déjà, l'homme s'était installé le long des ruisseaux et les petits établissements, mûs par la force hydraulique, tournaient souvent jour et nuit - comme le rappelait Alfred Michiels: il s'agissait des papeteries, des moulins à farine, à huile ou à chanvre, mais surtout des scieries.
 
Faire revivre l'espace d'un instant quelques unes de ces scieries de vallées à la fois par le texte et la carte, tel est le modeste dessein de cette étude. Nous vous proposons celles situées le long du ruisseau du Netzenbach, ancienne et importante voie de pénétration en direction du massif vosgien.
Mais avant d'aborder ce sujet, il importe de refaire - pour mémoire - une petite leçon de géographie locale et repérer, pour mieux les connaître, les nombreux ruisseaux et ruisselets du bassin du Netzenbach.
 
I. Les ruisseaux et leur noms dans le temps
 
A. La rivière du Netzenbach
 

La première mention de cette voie d'eau remonte à l'année 816 2 sous le nom de UUICHIA 3 : c'est assurément un des premiers noms propres connus du bassin de la Bruche. Le ruisseau est ainsi décrit dans un texte de 1650: une eau, appelée le Wichbach, tire son origine de deux vallées différentes, l'une s'appelant le grand, l'autre le petit Wichbach qui se rassemblent rapidement; ce ruisseau descend la vallée, traverse le petit village de Netzenbach et se jette dans la Bruche 4. À partir du début du XVIII° siècle, le nom de ces ruisseaux change. Le cours supérieur se dénomme Seyblochthal en 1760 5. Dix années plus tard, sa source devient sur un plan ancien la source de la Corrière du nom d'un canton forestier voisin qui avait fait l'objet de contestations entre l'Evêque de Strasbourg et la Communauté de Wisches. Cette partie de son cours s'appelait également ruisseau de la Corrière 7; c'est aujourd'hui le Langenthal 8.
Le ruisseau semble prendre en aval le nom du premier de ses affluents de la rive droite, la Grande Basse de Wisches 9. Enfin, un nouveau glissement s'opère en 1858 avec la Grande Basse dit aussi de Netzembach 10 ou plus simplement ruisseau de Wisches 11. C'est aujourd'hui le Netzenbach.
B. Les affluents de la rive droite
 

a) La Grande Basse
Evoquée plus haut, elle semble avoir également porté à la fin du siècle dernier le nom de Basse du Ritre12. C'est le Grossbachthal de la carte d'Etat-Major de 1882.
b) La Basse Schneider Le nom actuel est peut-être récent; en 1750, il est simplement mentionné un ruisseau flottable qui prend sa source au pied du Colbery [aujourd'hui Kohlberg]13
c) La Basse Sagard
Cette appellation, dont on ne connaît pas de formes anciennes, est très évocatrice des activités forestières d'autrefois.
d) Le Schoenbruch
Le nom rappelle sans doute le souvenir d'un ancien village disparu qui apparaît en 1366 lors de la vente de la Vallée de la Bruche 14 mais est encore attesté en 1516 15. Le village se serait aussi appelé Schoenenbruch ou Schoenenbrunn (?) 16. En 1750, le nom, sans doute mal assimilé par un greffier français, est devenu Chaimbruck 17 et même Chanfenèque 18, enfin - plus récemment - Schenbruck 19.
e) Le Tiefenbach
Le ruisseau du tiefenpach prend sa source au pied de la montagne de la Cote brulée 20 [aujourd'hui Gemery].
C. Les affluents de la rive gauche
 

a) La Basse des Corbeaux
Ce nom a subi bien des fluctuations. En 1750, apparaît celui de Basse desgro 21 - mais est-ce une forme ancienne? Sur des documents plus récents, on lit Krappenthal en 1882 22 et Krabbenthabächel en 1901 23.
b) La Rudebasse
Ce nom est donné par la carte d'Etat-Major de 1882. On l'aurait aussi prononcé Reebaes 24.
c) Le Petit Wisches
Il s'agit du principal affluent du Netzenbach: ce ruisseau est au pied de la montagne nommé le hasensprung 25 dit le texte de 1750. En 1760, il est appelé Kleinwich 26 voire même, à la française, Clain Viche 27.
d) La Basse du Canal
Son nom apparaît déjà dans le Plan de finage de Lutzelhouse de 1760.
e) La Basse du Chaudrion
Le Chaudrionbächel 28 rejoint le Netzenbach à la hauteur de la carrière dite "La Bergerie".
f) La Basse Claudon
En 1760 encore, il répondait au nom germanique ancien de Im Küttelbach 30.
g) La Bassotte
Le terme actuel semble également récent. Le nom ancien, Im hoch lägert Thal 31, a entièrement disparu.
 
























Après cette énumération, tournons à présent nos regards vers le fond de ces vallées pour aborder ensemble l'étude des scieries. Cinq établissements dont quatre sur le cours du Netzenbach montrent l'importance qu'avait ce ruisseau. Nous allons les passer en revue d'amont en aval.
 
II. Les scieries de la vallée du Netzenbach
 
A. La "scierie de Viche"
 
Elle était située sur le cours du Schoenbruch en un endroit non connu avec précision. Le texte de 1750 en parle en ces termes : le [ruisseau] de Chanfenèque 32fait aller la scierie de Viche [située] à peu près dans son centre et qui appartient à la communauté de Viche 33. Elle n'est plus mentionnée dans le procès-verbal de 1858 et ses ruines ont déjà disparu sur la carte d'Etat-Major de 1882.
B. La scierie du Pâquis
 

Au confluent du Schoenbruch et du Netzenbach, à la hauteur de la borne nø 24 du Procès-Verbal de délimitation de 1857, se trouvait la scierie du Pâquis mieux connue par les documents.
En 1750, elle n'a pas encore de nom spécifique, mais on connaît ses propriétaires. Elle appartient en effet à M. Lamarche et au Sieur Pierre Chardon son associé 35. La famille Lamarche est sans doute installée depuis un certain nombre d'années dans ce lieu puisque, non loin de cet endroit, se trouve dès 1728 un étang de la Marche 36. La même année, Joseph Drouot dit La Marche, bourgeois de Wisches - dit aussi Joseph La Marche 37 tout court apparaît comme entrepreneur des Exploitations des bois de l'Evêché: il passe des contrats pour faire flotter du bois par le Netzenbach et la Bruche jusqu'aux carrières de Soultz-les-Bains.
En 1846, la scierie du Pâquis, devenue communale entre temps, est reconstruite 38 - en fait modernisée. Alimentée à la fois par les eaux du Schoenbruch et du Netzenbach, elle pouvait débiter en 1858 trente mille planches par an 39 : c'était la plus puissante des scieries du vallon du Netzenbach 40. En 1882, elle apparaît sous le nom de Sägemühle Tiffenbach, de même qu'en 1901 41.
C. La scierie du Petit Wisches II
 
À 2000 mètres en contrebas du Pâquis, existe une autre scierie. Elle surgit dans les textes vers 1560 environ : c'est sans doute une des plus anciennes de tout le secteur. Elle fut reconstruite en 1848 43, peut-être par Adolphe Mathieu de Strasbourg qui en était, dix ans plus tard, le propriétaire en même temps que des prés aux alentours 44. À cette époque, elle pouvait débiter près de vingt mille planches par an.
Dans ces mêmes années, le cours du Netzenbach vit s'élever dans ce même secteur deux autres bâtiments 45 :
- la maison forestière du Petit Wisches construite entre 1845 et 1848,
- une nouvelle scierie (Petit Wisches I) installée en 1866 entre les vallons du Petit Wisches et de la Basse du Canal.
D. La scierie communale du village
 

Elle était située près de Wisches sur un canal de dérivation de la Netzembach 46 : en 1858, sa puissance égalait celle de la scierie du Petit Wisches II que nous venons de décrire. Comme c'est parfois le cas à proximité des agglomérations, la scierie avait pris la place d'un établissement antérieur : un moulin à farine y est attesté en 1750 mais il existait à cet endroit depuis un temps immémorial déjà selon l'expression de Dominique Douvier, bourgeois de Wisches, qui l'occupait en 1773 48.
Pour être complet, on eut pu faire mention également des quatre autres scieries installées sur la Bruche entre Wisches et Russ mais nous aurions dépassé là le cadre de cette première approche.
Cette énumération nécessairement sommaire a peut-être permis de jeter un regard nouveau sur un aspect trop peu connu de notre paysage rural, celui des petits centres d'activités qui ont joué un rôle non négligeable dans la vie économique de nos villages.
Pour en rester aux scieries - dont l'ESSOR avait commencé il y a quelques années l'énumération 49 - il y aurait lieu de rassembler d'autres documents d'archives, ainsi que des témoignages oraux; bien des points restent en effet encore dans l'ombre: il serait intéressant d'aborder le problème de la technique des scieries d'antan, faire connaissance avec les familles de scieurs - fermiers ou propriétaires - qui y ont vécu, voir dans quelles conditions ces établissements ont pu disparaître.
Parallèlement à cette enquête, une étude approfondie des noms de ruisseaux et lieux-dits en général serait du plus haut intérêt.
Ce dernier travail mériterait en fait d'être tenté pour chacune des communes de la Vallée. C'est une tâche difficile mais qui rendrait d'éminents services à tous les historiens s'intéressant au passé de notre région.
Arnold KIENTZLER.
L'Essor , revue des Anciens du Cours Complémentaire de Schirmeck, n° 123 (juin 1984)
 

Le hameau de Netzenbach et le différend Wisches - Lutzelhouse
 
À la suite de l'article paru sous ce titre dans nos colonnes le 19 janvier [1973] , M. Ch. Zinglé, maire de Lutzelhouse, nous prie d'insérer les précisions suivantes:
«Le hameau du Netzenbach construit sur la rive gauche du «Wischbach» à l'entrée, du Netzenbach par la suite, faisait de tout temps partie du département du Bas-Rhin, alors que Wisches, construit en contact, faisait partie jusqu'en 1870 du département des Vosges.
En son temps, les enfants du Netzenbach fréquentaient l'école de Lutzelhouse, par la suite cette école fut tenue dans une maison de l'annexe, et pour une meilleure organisation de l'enseignement, les enfants fréquentaient finalement les écoles de Wisches; les habitants allaient à l'église de Wisches et furent enterrés dans le cimetière St-Antoine. Il est par ailleurs exact que la commune de Lutzelhouse a participé financièrement à la construction de cette église et la constitution du cimetière, les archives conservées à Epinal en font foi.
Lutzelhouse payait des participations à Wisches, il y a eu de nombreuses discussions à ce sujet dans le passé, mais la séparation n'entrait pas en ligne de compte, aucun texte légal ne le prévoyait, les habitants de Netzenbach n'y pensaient pas.
Ces participations financières - normalement - doivent tenir compte de l'évolution des conditions économiques, fiscales, légales qui changent les relations entre localités.
La loi Barangé et la «taxe locale» ont changé les conditions d'antan. Lutzelhouse abandonna sans autre le bénéfice de la loi Barangé pour les enfants du Netzenbach à Wisches et la «taxe locale» du fait qu'il n'y avait pas de commerces alimentaires et autres au Netzenbach profitait d'une façon continue et établie à Wisches, d'une façon importante avec ses 257 habitants selon recensement, pris comme base. Wisches était ainsi à l'attribution directe et non au «minimum garanti» comme ses conseillers le prétendaient, lors des différentes réunions. La démonstration en fut faite à la sous-préfecture de Molsheim. La moyenne des recettes des années 1965, 1966 et 1967 de la taxe locale fut prise comme base pour les attributions futures et cette relation existe toujours. Elle fut également niée par Wisches alors que les textes légaux en font foi. Trois sous-préfets se sont suivis en peu de temps à Molsheim, l'arbitrage n'a pu se faire, les dossiers n'ayant été examinés à fond.
Lors de la dernière réunion à la sous-préfecture et à la suite de l'affirmation d'un conseiller du Netzenbach que 80% de ses habitants demandent leur rattachement à Wisches, il fut trouvé l'échappatoire du décret du 22 janvier 1959, permettant le détachement d'une portion de commune, il fallait pour cela une pétition signée par au moins un tiers des électeurs. Cette liste comprenant 153 inscrits fut signée par 148 personnes, il est à signaler que de nombreuses signatures sont contestables.
À la suite de cette opération fut élu un conseil syndical de cinq membres, un président. Ce conseil a déposé un dossier à la sous-préfecture de Molsheim avec ses revendications, remerciant par ailleurs Lutzelhouse pour tout ce qui a été investi dans l'annexe, demandant une surface très importante de la forêt communale de Lutzelhouse, contrairement aux règlements en vigueur qui ont été confirmés par lettre du 25 mai 1972 de la préfecture du Bas- Rhin.
Une enquête de «commodo et incommodo » fut prescrite à Lutzelhouse et à Wisches, à Lutzelhouse 580 personnes se sont prononcées contre le projet, à Wisches 84 personnes dont 75 habitants du Netzenbach, se sont prononcées pour, il y a moins que 50 % des électeurs.
Lutzelhouse a fait des efforts d'investissement très importants au Netzenbach qui ne sont d'ailleurs contestés par personne, Lutzelhouse a également fait ou participé à des travaux importants dans l'intérêt de la commune de Wisches et du Netzenbach, bien au-delà du « dû» suivant certaines règles établies par l'administration des Eaux et Forêts:
a) Curage du ruisseau du Netzenbach: provenant en bonne partie de la forêt communale de Wisches, torrent tumultueux en cas de fonte de neige intempestive ou gros orage, inondant les bas quartiers de Wisches et de Netzenbach, payé 100% par Lutzelhouse de 1948 à 1970 dépenses - sans être réévaluées -: 15 190 F
b) Réparation du conduit de la rue de la Forêt de Wisches: Lutzelhouse participe avec 50% alors que l'administration avait fixé 5%, la participation de Lutzelhouse a été de 3 000 F au lieu de 300 F
c) Route du Roulé: coût total en 1961-62: 32 387 F: participation de Lutzelhouse: 12 150 F au lieu des 5% = 1 619 F, ceci pour soulager Wisches
d) Electrification de la route de la forêt à Wisches, du Petit-Wisches et renforcement du Netzenbach: Lutzelhouse doit se prêter comme maître d'oeuvre pour conclure les discussions avec les particuliers, cette électrification dont le coût se montait à 73 821 F est aujourd'hui largement bénéfique à Wisches
e) Constructions au Netzenbach: la commune de Wisches ne disposant pas de terrains de construction après 1945, les habitants de Wisches sont venus construire au Netzenbach, 60 % des nouvelles constructions appartiennent à des habitants de Wisches, la commune de Lutzelhouse ayant payé la viabilisation. Ainsi ont été équipées la rue de la Gredenmatt, la rue de la Bassotte, la traversée du Netzenbach pour une somme non réévaluée de 135 350 F
f) Mur de soutènement du Netzenbach en 1972: 26 575 F.
Ceci ne représente qu'une partie des investissements réalisés pour l'annexe. Il est hors de doute que Lutzelhouse n'a pas lésiné pour en faire un «coquet hameau» et les torts ne sont pas de notre côté, ces investissements constituent sans doute une très belle « dot».
Les habitants du Netzenbach veulent rallier Wisches, en démocrates nous respectons leur volonté, mais longtemps avant toute cette procédure en cours, la commission syndicale fut informée que l'annexe n'avait pas droit à une part de forêt, propriété privée de la commune de Lutzelhouse.
Aujourd'hui, on veut faire un procès d'intention à Lutzelhouse. Ayant depuis plus de 30 ans veillé à l'épanouissement de cette annexe, toutes les marques de sympathie et de respect ne peuvent m'empêcher de ressentir une amertume profonde. L'infiltration constante et la pénétration importante d'habitants de Wisches ont provoqué la fissure dans notre belle unité. Ces voisins ont évidemment hâte de retourner dans leur commune d'origine - c'est humain - même par l'annexion d'une part de la forêt, alors que Wisches en possède plus de 1.200 ha, c'est-à-dire plus que le double de celle de Lutzelhouse - ce serait apporter l'eau à la rivière.
J'ai recherché pendant mon long mandat à cultiver les meilleures relations avec mes voisins, les gestes sont là pour le prouver, néanmoins, je n'ai pas le droit de léser les intérêts fondamentaux de ma commune.
La conclusion de l'affaire est encore lointaine, le dernier mot n'est pas dit et des surprises sont toujours possibles, nous défendrons Lutzelhouse. «Clochemerle» n'a rien à voir dans cette lutte vitale pour notre commune. »
 

Quelques coutumes et costumes
 
Gaby Jasko et Marguerite Doerflinger
 
Ce n'est qu'avec quelques réticences et beaucoup de discrétion, que le val de Bruche déploie son long cheminement aux yeux du promeneur charmé, se laisse pénétrer jusqu'au fond de ses étroites percées latérales, pour livrer peu à peu son histoire, ses mystérieuses légendes, son passé lointain, ses us et coutumes d'autrefois. Tels les jeux d'ombre et de lumière sur les versants de ses montagnes sacrées, ce passé resurgit parfois dans le scintillement d'une coiffe ancienne, à travers les notes grêles d'une mélopée, dans l'esquisse d'un pas de danse autour d'un feu de joie sur la colline, dans les souvenirs égrénés durant les longues veillées d'hiver.
 
C'est avec une calme lenteur que s'ouvrent devant nous les vieux albums de famille, aux photos jaunies, permettant néanmoins de reconstituer quelques types de costumes chers aux habitants de ces villages et hameaux témoins d'un art de vivre disparu, au charme désuet et riche de signification.
 
Sur les traces des costumes et mises d'antan
 
Arrêtons quelque peu la course du temps et attardons-nous à Niederhaslach, beau village blotti autour de sa célèbre collégiale gothique, dont l'ombre domine chaque année la procession de Saint-Florent (le dimanche suivant le 7 novembre). C'est à cette occasion que d'anciennes coiffes de fête resurgissent du fond des armoires pour parer les femmes mariées chargées de porter tout le long du cortège, la statue de Sainte-Anne. On appelle couramment ces « élues », les « Annawiwer » (femmes de Ste-Anne), et leurs coiffes portent le nom de « Sankt-Annakappe » (bonnets de Sainte Anne).
Quel était ce costume de cérémonie, dont il ne reste aujourd'hui que quelques vestiges ?
Le mêmes costumes furent portés à Niederhaslach et à Oberhaslach, costumes influencés par l'appartenance religieuie des communes et par les apports de mode des bourgeoises et citadines aisées venues en pèlerinage, depuis Molsheim, Brersch, Rosheim, etc... La pièce la plus riche est la coiffe, sorte de calotte de brocart, rutilante de broderies d'or, de paillettes dorées, de verroteries de couleur, que l'on coulissait à l'arrière. Les broderies minutieuses rappellent celles des ornements sacerdotaux et ont souvent été réalisées par les religieuses dans les couvents ou les maisons-mère. Ainsi à Still. Cette calotte emboîtait l'arrière de la tête, cachait les cheveux coiffés en bandeaux et se mettait sur une petite sous-coiffe en lin blanc ou en baptiste, bordée d'une dentelle de Valenciennes tuyautée ou plissée, de la largeur d'une main et que l'on fixait en premier lieu. Cette dentelle amidonnée, plus étroite sur le front, était rabattue en arrière et revenait sur les côtés pour encadrer légèrement le visage.
 
Vers 1850, le costume féminin se composait d'une grande chemise de lin à la coupe droite, d'un jupon parfois matelassé, d'une longue jupe de soie sombre, brochée, très plissée dans le dos, d'un « Baskele » ( casaquin) aux manches travaillées bordées d'une petite dentelle et d'un long tablier de soie brochée de couleur sur fond noir. Un peu de dentelle au cou égayait le tout. Pour se rendre à l'église ou se protéger du froid, ces dames drapaient sur leurs épaules un châle de cachemire chatoyant. Ce costume était porté aux mariages, également, par les demoiselles d'honneur conduisant la mariée à l'église.
 
En semaine, les femmes portaient une petite coiffe matelassée nouée sous le menton, un jupon molletonné à petits carreaux noirs et blancs, une jupe simple en cotonnade imprimée que l'on relevait par-devant et par-derrière pour aller à l'étable, une chemise de lin, un petit casaquin en coton, des sabots. En été, durant les travaux des champs, un chapeau de paille à larges bords et à petite calotte se posait sur la tête. Cette mise modeste se retrouve un peu partout dans le val de Bruche.
 
Le costume masculin, plus sobre, se composait vers la même époque, d'une chemise de lin, au plastron et aux manches plissés, d'un pantalon de drap noir, d'un gilet de velours et d'une redingote noire ( « Schwalwefrack » ). Le couvre-chef était autrefois le tricorne. On n'en trouve plus trace de nos jours. En semaine, les hommes portaient un gilet de velours côtelé brun, un pantalon noir en drap ( « Duach » ) Beaucoup d'entre eux étaient des bûcherons, des tailleurs de pierre, des paysans ou des ouvriers ( « Fabrikler » ) et s'habillaient d'une blouse paysanne bleu clair ou foncé, d'un bonnet à pointe noir ( « Zipfelskapp » ), de sabots dits « sabots-botte » , ( « Stiefelholzschueh » ), genre de galoche remontant loin sur le cou-de-pied. Les gens plus pauvres ciraient leurs sabots pour aller à la messe, le dimanche. Plus tard, on mettait des chaussures cloutées (« Najelschueh »), pour aller travailler; les jeunes gens, eux-aussi, arboraient un costume spécial au moment de leur conscription: un chapeau garni sur le devant d'un grand bouquet de plumes et de fleurs et fruits artificiels empanachait leur tête et leur donnait tous les droits! Les conscrits portaient en outre des pantalons blancs rentrés dans des guêtres de cuir noir ciré, un gilet foncé ou une grande ceinture de flanelle bleue; la poitrine était barrée d'un ruban tricolore. Les garçons de la classe suivante, les « Nachconscrit », arboraient une casquette garnie d'un petit bouquet de plumes de faisan.
 
Le costume d'apparat des femmes mariées de Niederhaslach s'est maintenu jusqu'à aujourd'hui, grâce à la procession annuelle de Saint-Florent. Peu à peu les femmes abandonnèrent leurs mises traditionnelles, qu'elles remplacèrent par leur robe de mariée noire, sans tablier, recouverte d'un grand châle blanc cassé, en « mousseline-laine », et appelé « Annahalstuech ». Ces châles, bordés de longues franges blanches ou de riches dentelles très larges (voire de broderies Richelieu), mettaient les coiffes dorées bien en valeur. C'est le curé du village qui choisit les porteuses de la statue de Sainte-Anne, au nombre de huit, très conscientes de l'honneur qui leur échoit. De nos jours, elles ne gardent que la coiffe de brocart qui accompagne une robe noire courte et le châle blanc.Mais le spectacle en vaut la peine, car l'ordre de passage de la procession est le suivant: d'abord viennent quatre enfants de 13-14 ans, portant la statue de l'Enfant Jésus couché sur un petit lit; puis suivent des jeunes filles soutenant deux statues de la Vierge ( « Blöijmuettergottes » et « d'goldig Muettergottes » ) ; ensuite les conscrits en pantalons blancs soutiennent la statue de Saint-Florent, suivi du prêtre et du conseil de fabrique. Les reliques de Saint-Florent sont prises en charge par quatre marguilliers et en dernier lieu apparaît la lourde statue de Sainte-Anne, soulevée par huit « Annawiwer », en costume.
 
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Si nous remontons le val de Bruche, vers l'ancien comté du Ban-de-la-Roche, cette rude terre enclavée dans la montagne, à l'écart des grandes voies de communication, où huit petites communes ont gardé, à travers lei âges, l'empreinte du pasteur Jean-Frédéric Oberlin (de 1767 à 1826), à la fois pionnier et homme de Dieu, nous retrouvons également le souvenir et les traces d'un mode de vie d'autrefois, austère et attachant; les habitants gagnaient péniblement leur vie comme agriculteurs, bûcherons et tisserands, sur des métiers tissant durant les lourres (veillées) la laine, le coton, le ruban pour le compte des entreprises de la vallée. Partout les champs de lin coloraient les pentes et se sont cultivés environ jusqu'en 1919. Le costume paysan était à l'image de cette vie besogneuse, dominée par les conceptions religieuses d'Oberlin ; on en retrouve des traces au musée de Waldersbach, et dans quelques familles locales.
C'est ainsi que la coiffe, portée par Louise Scheppler, et maintes fois représentée sur des gravures de l'époque, apparaît comme une sorte de calotte en soie noire, parfois à petits motifs dorés ou blancs, coulissée à l'arrière, bordée à l'avant d'une large passe en soie noire moirée, revenant sur les oreilles, recouvrant entièrement les cheveux dont aucun ne devait dépasser pour « ne pas tenter le diable » !
Sur le dessus, un ruban noir d'environ 4 cm se dressait et entourait la calotte pour ensuite se nouer à l'arrière en un petit noeud plat masquant la coulisse; on appelait ce type de coiffe, la « cape-Sarah » et elle était nouée sous le menton par deux brides noires. Plus tard, vers le milieu du siècle dernier, les coquettes laissaient dépasser les bandeaux de leurs cheveux; le reste du costume féminin était composé d'une longue chemise paysanne en lin plus ou moins grossier, d'une jupe de lainage noir ou très foncé, à petits plis dans le dos, garnie dans le bas d'une « balayeuse », d'un casaquin noir et d'un tablier à plis, noué derrière, en soie ou en coton.
Les fillettes portaient le même costume avec quelques variantes de couleur. Autour du cou, les femmes nouaient un large ruban, fermé par un grand noeud à l'avant. En hiver ou pour aller à l'église, un châle de lainage, parfois de cachemire était de rigueur. Plus tard, la cape-Sarah fut remplacée par une sorte de bonnet de coton blanc que l'on portait la nuit et le jour; pour sortir, on le recouvrait d'un petit fichu de dentelles noires, dit « frileuse » ou « friyeuse » ! Les chaussures étaient noires, remplacées en hiver par des sabots cirés « courte-gueule ».
Les hommes et les garçons s'habillaient de la traditionnelle blouse bleue, d'un pantalon foncé, d'un bonnet à pointe ou d'une casquette, de sabots à botte à la semelle ferrée, de chaussettes à semelle de velours. On pouvait les rencontrer ainsi à la foire aux bestiaux de Saint-Blaise ou du val de Villé, où s'achetaient également les grands chapeaux de paille non tressée, retenus par un ruban noir, à la calotte entourée d'une frise de paille artistiquement travaillée. er par des sabots cirés « courte-gueule ». Ce commerce se faisait par les gens de Bellefosse et de Belmont. Utiles contre la pluie et le soleil, ces chapeaux s'accrochaient souvent sur la porte, à l'intérieur des maisons; pour le travail des champs, on se coiffait aussi de la « halette » à rayures, à petits motifs ou toute blanche (sorte de quichenotte baleinée), comme un peu partout dans nos vallées.
 
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Remontons en dernier lieu vers Grandfontaine, au pied de la montagne sacrée du Donon; les costumes de ce village d'obédience vosgienne, évoquent le fil de l'Histoire, qui fit de ce terroir de l'arrondissement de St-Dié, un lopin de terre alsacienne, aux traditions montagnardes.
Ainsi la coiffe couvrant les cheveux est-elle blanche en baptiste, en linon ou fine cotonnade, au fond brodé, nouée sous le menton par deux brides amidonnées, dites « margoulottes » et garnie d'un ruché tuyauté, telle que nous pouvons la voir sur la reproduction originaire du village.
La légende de la Roche de la Chatte Pendue, citée dans « le rouet de Marguerite » de Marie Klein-Adam, raconte comment la coiffe blanche, lorraine, passa au pays de Salm ! Pour le travail, elle était remplacée par le chapeau de paille, la halette ou le foulard, ce dernier souvent couronné d'une « rouette », sorte de coussinet rempli de son, permettant aux femmes de porter leurs fardeaux sur la tête. Ces dernières s'habillaient d'une chemise longue, en lin, de coupe droite fermée par une « liotte », sorte de coulisse, d'une jupe en drap, ou en serge, de couleur foncée rappelant en quelque sorte l'environnement, probablement rattachée à un corselet et recouverte d'un casaquin assez travaillé; un long tablier à volants en soie foncée ou en coton ou en lin blanc à l'intérieur de la maison complétait le tout.
Il existait en outre de très beaux châles de mariage en cachemire chatoyant. Les hommes portent sur un pantalon noir la blaude assez courte en lin bleu foncé agrémenté de broderies blanches ; leur bonnet de laine noire et blanche se termine par un pompon; la chemise de lin se noue d'un foulard noir; des sabots « courte-gueule » font résonner les pavés et claquent gaiement lors des danses villageoises! Pour les offices, des chaussures noires étaient de rigueur. A l'heure actuelle, le groupe folklorique « Les Brimbelles » de Grandfontaine est l'un des meilleurs groupes d'animation de la haute vallée de la Bruche. Son répertoire de danses est représentatif des traditions montagnardes, et honore les métiers de la vallée, soit les tisserands, les bûcherons, les scieurs de long; leurs branles recueillis dans ela région du Donon évoquent les rondes sacrées autour des feux de joie des bures à l'approche du printemps. Lors des longues veillées ou « kouaroïes » les danseurs s'efforcent de redécouvrir les traditions populaires, le patois d'autrefois, de retrouver les gestes de jadis, les contes et les légendes. Ces jeunes, bien encadrés, se produisent partout avec enthousiasme; on dit « qu'ils ont le Coeur au bout des sabots » et sont véritablement les ambassadeurs de leur belle vallée !
 
Quelques coutumes et survivances locales
 
Chaque année, au cours du mois de février, les conscrits de la région font revivre la tradition des feux de Carnaval, symboles de la victoire du printemps sur le bonhomme hiver (à Wisches, à Lutzelhouse, à Russ). Les conscrits sont appelés « les bures, les bires ou les birous » du même nom que le bûcher à enflammer (la Bire), Ils sont secondés par « les aides-birous », les teneurs du titre l'année suivante. Comment se déroulent toutes ces festivités traditionnelles ?
A Wisches, les conscrits se cotisent un an à l'avance, afin de pouvoir « faire les bires » dignement! Au cours des quatre samedis précédant la date fixée, les birous ramassent le bois sec, qui sera entassé autour d'un sapin de 6 m de haut, au lieu-dit « au Banc ». Le soir, les conscrits et leurs conscrites y mettent le feu et les réjouissances commencent : rondes endiablées autour du feu, chansons et dégustation de beignets et de vin chaud offerts à tous les participants et spectateur. Dans les temps plus reculés, une joute s'engageait entre garçons, afin de voir qui réussirait à abattre le sapin incandescent, planté au milieu de la Bire. Le tout sera suivi d'un repas et d'un bal. A Lutzelhouse, les birous et leurs aides-birous dressent une Bire aux Hauts Champs. Le bûcher est édifié autour d'un sapin ébranché presque jusqu'à la cime. Un paillon grimpe le long du tronc, qui sera enflammé très rapidement, propageant le feu jusqu'à la cime. Le bois utilisé pour le bûcher est constitué de branchages, dans lesquels les bires s'aménagent une « baraque » un abri leur permettant d'y monter la garde, deux nuits durant.
Le dimanche soir, les conscrits allument la bire et les chants et les rondes se succèdent. A Russ, le feu de Carnaval flambe le premier ou second dimanche de février, au lieu-dit « La Bire ». A cet endroit se perpétuent également la coutume du lancement de disques de bois enflammés appelés « chibes », « guibs », « rhibes » ou « charidos », tradition ancestrale que l'on pratiquait aussi à Wackenbach (jusqu'en 1952), à Barembach (jusque vers 1965), à Grand-fontaine, aux Minières, à Niederhaslach sur une colline à l'entrée de la vallée (au Ziegelrain) et à Lutzelhouse ; partout le lancement des disques (dit « Schieweschlawe » dans d'autres régions) s'accompagnait de litanies telles que :
« A qui, à qui chérido ?
« En voilà un pour le ... et pour la ... » suivent des noms de jeunes filles ou même de vieux célibataires. Pour toutes ces réjouissances symboliques, les grands maîtres de cérémonie étaient les conscrits, perpétuant les traditions, les faisant évoluer. Citons également une coutume de nouvel an, pratiquée à Niederhaslach par les conscrits: ces derniers lançaient des bretzels de paille géants ( « Strohhratstalle » ) sur les toits des jeunes filles à marier, même si elles avaient 80 ans et plus !
Beaucoup d'autres traditions se sont perdues au fil des ans, ou sporadiquement maintenues, telles celles du « Christkindel », des « Ratsche » (crécelles de Pâques), des oeufs de Pâques. Enfin pour terminer cette enquête sommaire, évoquons quelques recettes gastronomiques typiques du val de Bruche; ainsi la toffée (soupe), la tarte de chovions, le casse-mouzé, les kneppfes de semoule, le boudin des Minières, la tarte à la gréhotte, les liqueurs de cassis, le quinquina aux noix, la liqueur absolution, la liqueur d'estragon, le vin de rhubarbe, etc.
 
Il serait souhaitable que tout ce patrimoine un peu oublié ou dispersé à tout vent, puisse revivre quelque peu, soit pour les besoins du tourisme, soit pour une meilleure prise de conscience de l'image de marque d'un terroir aussi attachant que le val de Bruche, où beaucoup reste à préserver et à redécouvrir !
 
Gaby Jasko et Marguerite Doerflinger
Saisons d'Alsace, Le Val de Bruche (1977)