Qui pourrait croire, en flânant dans la forêt de Wisches par une belle journée de printemps, le long du ruisseau de Wisches, autrefois appelé le ‘(Grand Ruisseau» et maintenant «Netzenbach», en remontant vers le «Pâquis», le long de cette vallée creusée dans le massif boisé du Tieffenbach, qu’elle fut jadis habitée par d’autres que les biches, les cerfs ou les sangliers.
Au confluent du Netzenbach et du ruisseau du Schoenbruch, au lieu-dit «Pâquis», sur une large place maintenant recouverte de végétation sauvage et bordée de grands arbres, dans un décor de carte postale, on peut apercevoir, noyé sous la mousse et les racines, le pan d’un mur, plongé dans l’eau, seul vestige rescapé d’une de ces petites scieries à eau aujourd’hui disparues.
C’est dans cet endroit calme et limpide que fonctionnait encore au début de notre siècle, la scierie du Pâquis, berceau de mes ancêtres. C’est en ce lieu retiré qu’en 1889 et jusqu’en 1920, date à laquelle elle fut détruite par un incendie, mon arrière-grand-père, Julien Holveck vint s’installer comme sagard avec son épouse Marie Anne.
Julien Holveck (1850-1916) est le cadet d’une famille de trois enfants. Son père Antoine, et sa mère, Marie Jeanne Schouler (ou Schuller), sont domiciliés à Hersbach à sa naissance le 6 mai 1850. Le 11 septembre 1876, il épouse au Ban de Laveline (Vosges), Marie Arme Magron, de six ans sa cadette (elle est née le 25 juillet 1856 à la Côte d’Echery, commune de Sainte-Marie-Aux-Mines, Allemagne, puisque l’Alsace était allemande à cette époque).
De leur union sont nés huit enfants: Joseph, Jean-Baptiste, Emile (né à Grandfontaine le 20 juin 1881), Fernand, Jules (1885-1900), lequel serait mort noyé dans le Netzenbach.
C’est là aussi, au coeur des bois, bercés par le sifflement monotone du fer mordant la tronce et du mugissement de l’eau bondissant d’un auget à l’autre de la grande roue, que trois benjamins virent le jour: Louis, né le 24 août 1890, Marie-Jeanne (16 novembre 1894 — 15 mars 1986) et Marie-Denise (4 octobre 1896 —5 février 1970).
C’est dans ce cadre à l’élégance pure et dépouillée que cette famille simple et fruste de solides bûcherons vosgiens a mené sa vie, frugale et rude. Ils ont vécu là, une vie proche la nature et dont le seul agrément était le labeur quotidien. Au fil des saisons, ils ont essuyé, souvent en même temps que leurs larmes, les tempêtes et les meurtrissures cruelles que la nature peut causer quand elle met en colère.
Sans désemparer, sitôt les plaies pansées, ils se remettaient au travail, avec encore plus d’ardeur et d’acharnement.
La vie quotidienne pour les enfants n’était pas toujours des plus commodes. Denise, ma grand’mère, me racontait souvent que, pour aller à l’école, il leur fallait faire à pied, par tous les temps, près de cinq km. En hiver, quand la neige enveloppait tout de son épais manteau, elle et Jeanne, sa soeur «descendaient au village» dès le jour levé. Vêtues de capes de qros drap, bonnets et bas de laine, chaussées de sabots par dessus les «schnobottes», elles partaient, la gamelle contenant le repas de midi à la main. Elles n’arrivaient à l’école jamais avant 9 h et la soeur d’école les laissait repartir à 3 h, toujours dans le même équipage, afin qu’elles puissent être rentrées avant la nuit. Elle me racontait aussi que, lorsque la neige était bien tassée et glissante, elles faisaient de la «schlitte» avec leurs sabots qui ne résistaient pas au traitement, au grand dam des parents lorsqu’elles rentraient, les sabots éclatés à la main...