Les noms des habitants de la Vallée pendant l'occupation
S'il est un problème qui a préoccupé certains habitants de la Vallée pendant l'occupation allemande, c'est bien celui- là. « Les Allemands, me disait mon oncle Dubois, exigent que je change mon nom en Vonholz ou à la rigueur en Dubos. Ce qu'ils veulent c'est que le nom français puisse facilement être prononcé par une gorge germanique. Doivent donc disparaître les «oi» les «on» qui deviendront parfois «ung» ou «ong» les «in» qui feront « ing», etc.... »
Si vous le voulez bien, nous allons passer en revue un certain nombre de noms de famille de la Vallée ; nous en donnerons la traduction fixée par l'occupant et nous profiterons de l'occasion pour expliquer la signification des noms français. En général, les noms de personnes sont des noms de métiers ou des surnoms. Que personne ne s'offusque s'il trouve pour la première fois la signification de son nom avec un sens différent de celui qu'il aurait espéré. Nos ancêtres étaient malicieux et ils ne se souciaient pas de donner les sobriquets les plus caractéristiques de la personne en question.
Un des moyens les plus faciles comme nous l'avons vu plus haut est Ia traduction pure et simple du mot français en allemand. Dubois donnerait Vonholz, Paquet : Paket, Belcour : Schoenhof, Petitjean : Kleinhans, Boulanger : Becker, François : Franz.
Tous les noms ne laissent pas aussi facilement percer leur signification. D'autres ne pouvaient pas se traduire textuellement. Bouillon, par exemple, a une signification difficile à expliquer. Ce n'est évidemment pas le potage, mais peut-être le dérivé de boue, à savoir : celui qui habite près d'un marais! Comment traduire cela en allemand? Rien de plus facile.
On garde le mot, qu'on affuble d'une finale plus ou moins germanique, ici ung. Dieudonné, traduit, donnerait un mot trop long. Il est donc bien plus facile de prendre le vocable latin : Deodat.
Lallemand qui signifie pour un Vosgien, la personne qui vient d'Alsace et qui parle l'alsacien, aurait pu se traduire par Deutsch. (Pensez à Deutsch de Ia Meurthe). Pour garder un nom à peu près semblable, on transforma la finale mand en mann. D'où le sens de ce nouveau nom : homme qui zézaye.
Laurain probablement le Lorrain, devint un Laurer.
En conclusion de ce petit paragraphe nous constaterons que peu de noms ont été effectivement traduits. Pour plusieurs raisons. Mais voyons la suite de notre inventaire.
Les mots de ce premier groupe auraient pu éventuellement être traduits si «on» avait voulu. Dans la liste qui suit nous n'avons plus affaire à des noms de métiers ou de nationalités, mais à des prénoms devenus noms de famille.
André, en latin Andreas comme en grec, (sens de viril) donna Andres, forme bâtarde, mais qui ressemble au prénom breton Andrès.
Bastien, (Sébastien, du latin Sébastianus qui dérive lui aussi du grec - au sens de Honoré - devint Bastian, forme du Midi.
Jacquel qui veut dire en lorrain le petit Jacques, - ce dernier venant de Jacobus -Dieu supplante - se présenta sous la forme presque semblable Jaeckel.
Jérôme s'écrivit Gérum. On sait que Gérome existe l'ouest de la France. Il vient de Hiéronymus qui a le sens de: nom sacré.
Janel diminutif de Jean donna Jahner, tout simplement.
Masson n'est pas nécessairement le nom du maçon, mais peut aussi être le diminutif de Thomasson (Thomas = jumeau). Pendant l'occupation la finale on devint ung.
Collin ou Colin, diminutif de Nicolas, s'écrivit avec un grand K et prit un g bien entendu.
Claudon : Clodung [n.l.r]
Mangin fut germanisé en Mansching. Or, Mangin est de la même famille que Demange et même Dimanche ! Demange forme lorraine et populaire de Dominique, signifie celui qui est béni du Seigneur.
Ce deuxième groupe de noms ne contenait que des prénoms devenus noms de famille au cours des âges.
Voici maintenant un nombre respectable de mots qui ne facilitèrent pas le travail de l'occupant.
Quelle fut à votre avis la traduction proposée pour Parisot? Les Allemands ne voulaient tout de même pas admettre que notre concitoyen était originaire de Paris! Or ce nom resta intact, car il est facile à prononcer et difficile à changer. Parisot avec sa finale en ot est un mot de l'Est. C'est le diminutif de Patricius.
Marchal qui vient de maréchal (ferrand) donna Marschal.
Malaisé (Maleisen en allemand - eisen étant sans doute la traduction de aisé!) veut dire en Auvergne : peu aimable ou mal conformé.
Violet est certainement le nom de celui qui s'habillait de drap violet. Comment faire pour traduire ce nom. Ce ne fut pas long. V donna W, o disparut, et la finale et se transforma en un bert bien germanique, au total Wilbert - celui qui a une volonté dure (en langue franque).
Fond qui est un creux de terrain se transforma en trouvaille (Fund).
Ponton, surnom de marinier est devenu Ponter. Le er fait plus germanique, (de même que er dans boulanger, boucher ou berger!)
Poré est probablement le surnom de celui qui vend des poireaux, en allemand il devint Porer. À vous d'en expliquer le sens!
Continuons, si vous le voulez bien, nos investigations.
Bailly ne fut pas, lui non plus, changé en Vogt, il resta. Disons que tous les Bailly de France ne furent pas des baillis, c'était surtout un surnom, de même qu'il y a d'innombrables Comte et Lecomte, Duc et Leduc. (Voir les détails dans Dauzat : dictionnaire étymologique des noms de famille et prénoms de France).
Babo lui aussi ne subit aucun changement, car il était facile à prononcer même pour une gorge germanique. Babo vient, ou de la forme familière de Babylos, patriarche d'Antioche béatifié au Ille siècle, ou alors c'est un nom de la famille d'Isabelle, Isabeau ou, enfin, un sobriquet pour désigner la grimace, la moue, baboe en ancien français. Mais dans ce dernier cas, il devrait avoir un z final. (Dauzat).
Bronique devint Bronick. Origine inconnue.
Brignon : Brigner.
Scharler est tout simplement Charlier, qui signifie charron en ancien français. C'est la contraction de charrelier.
Schartner : Charton qui vient de charreton, nom du charretier.
Avez-vous deviné ce que signifie Scholer? Simplement Cholet, mot de la famille de chou. C'est un diminutif désignant le marchand ou producteur de choux.
Clévenot si j'en crois Dauzat, est le dérivé de l'ancien français clavain: «pélerine garnie de lames de fer qui faisait partie de l'armure». Ici ce serait le surnom de celui qui porte cette pélerine. L'allemand traduisit par Clevemuth.
Durand (Duhrand en allemand, deux syllabes qui se prononcent facilement) est peut-être notre mot (en)-durant, obstiné.
Fitte devenu Fitter par la gràce de l'occupant désigne dans le Sud-Ouest de la France un nom de lieu et plus spécialement une pierre fichée (une borne), donc un domaine qui a été borné (Dauzat). Si cette explication convient pour notre région, nous ne pouvons le confirmer.
Ferry resta inchangé. Certains comtes de Salm portèrent ce nom. C'est le diminutif de Frédéric : nom franc qui signifie puissance et paix.
Génot devint Genold qui est un nom d'origine germanique contenant les mots gens = race et wulf = loup.
Gagnière (traduit en allemand par Gagner) de la famille de gagner au sens de cultiver. On gagne sa vie à cultiver la terre.
Ganier se transforma en Ganner
Hougnion en allemand Hugner se rattache-t-il à la famille de Houille, nom qui nous vient de Belgique ? Mystère.
Juillot en allemand Juler de la famille de Juillet est à l'origine le nom d'un enfant baptisé en juillet!
Marlier (devenu Marler, nom inventé de toutes pièces, comme ceux qui précèdent) vient de marillier, ancienne forme de marguillier, sacristain, chantre.
Morel resta ce qu'il était, à un h près pour allonger la première syllabe. Morel signifie brun de peau comme un Maure.
Oury qui se simplifia en Ury, nom qu'on retrouve dans l'Est, est un ancien nom de baptême d'origine germanique, Othalric, se composant de othal = patrie et de ric = puissant : le puissant de la patrie.
Salmon (devenu Salman) est l'abrégé de Salomon.
Silet (germanisé en Siler) est probablement le mot populaire ou une altération de cillet, petit cil (Dauzat).
Verlet devint Werlert. Ver, de la même famille que vair du latin varius. varié, moucheté, désigna autrefois une peau tachetée.
Nous verrons dans les prochains numéros de l'« Essor » que ce mot est resté dans le patois « vari » qui désigne un boeuf à la robe tachetée.
Casner donna Gassner presque Gasser : celui qui habite sur la rue. Ce nom et quelques autres qui suivent sont d'origine germanique. Pendant l'occupation on rajouta ou retrancha la ou les lettres qui déformaient le mot allemand. Ainsi Krieguer perdit son u. Krieger est le nom du guerrier ou le surnom d'un homme batailleur.
Oulmann devint Uhlmann, ce qui fut une erreur de traduction, le vrai nom étant Ullmann : l'homme de la patrie chez les francs.
Pour conclure provisoirement ce chapitre des noms de personnes pendant la guerre, nous dirons que l'occupant n'a traduit que quelques rares noms qui ne pouvaient pas être « déromanisés ». Ils furent de ce fait plus ou moins germanisés (pensez à Durand pardon Duhrand !, n'importe quel Allemand pouvait articuler ces vocables). Cependant pour obtenir cette « déromanisation » l'Allemand n'appliqua aucune règle et bien souvent il ne se soucia pas du vrai mot allemand existant. S'il avait eu à sa portée le dictionnaire du Français Dauzat, son travail eût été considérablement simplifié.
J.R.
Texte intégral in l' ESSOR 44 avril 1957 et 46 décembre 1957
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